Avant de fouler la scène du parc des Faubourgs dans le cadre de Fierté Montréal, Ariane Moffatt, Sandy Duperval, Debbie Lynch-White et Roxane Bruneau se sont réunies dans les studios de La Presse pour parler de diversité, d’ouverture et d’homophobie.

Votre prestation à Fierté Montréal a-t-elle une signification particulière pour vous ?

Ariane : Ce sera ma première participation comme artiste. Je suis certaine que ça va être spécial. Cet été, au début de mon spectacle à Acadie Love, un festival de la diversité, j’ai été emportée par une vague d’émotivité qui confirme à quel point c’est important d’allier ma passion pour la musique et cette part de moi que j’avais besoin d’embrasser. C’est tout moi, là.

Debbie : Comme artiste, tu ne peux pas être toute ta vie en décalage entre ce que tu es et ce que tu crées. Tout part de toi. Soit ça paraît dans ta création, soit tu es profondément malheureux. Être sur cette scène, c’est une symbolique supplémentaire.

Roxane : Je le fais pour tous les kids et les parents qui les accompagnent. Je débute en musique et je me ramasse dans les gros festivals. Je vais essayer de passer au travers avec mon anxiété, qui est ma grosse bête noire. Je veux être authentique en restant une petite lesbienne anxieuse devant tous ces gens. Ça peut inspirer ceux qui sont comme moi.

Sandy : On inspire les gens même dans nos vulnérabilités. Il faut montrer à ceux qui souffrent encore que c’est possible de s’assumer, que ça peut être sécuritaire et qu’il y a d’autres personnes comme eux. Des gens se sont battus avant nous pour créer un environnement sécuritaire et nous donner une visibilité.

Vous considérez-vous comme des modèles pour la communauté LGBTQ+ ?

Sandy : Je veux démontrer qu’on peut être une femme qui fait sa place dans une société qui a déjà déterminé sa valeur et les choix qu’elle doit faire. J’ai grandi dans un milieu religieux et, dans la Bible, la femme est présentée comme étant accessoire ou dangereuse. Je trouve ça dommage d’avoir commencé ma vie comme ça. J’espère que mon cheminement va briser cette prédestination.

Ariane : Avec le temps, j’ai réalisé que je pouvais peut-être devenir le modèle de quelqu’un d’autre. Pendant un long bout, je cherchais mon chemin par rapport à mon identité. Avec les années, je réalise que ce désir d’être soi complètement peut inspirer. Le désir de l’engagement social grandit en moi. Je veux démontrer la normalité et la banalité des familles homoparentales.

Debbie : Quand j’ai fait mon coming out, on m’a beaucoup demandé si je voulais être porte-parole de ceci ou de cela, mais je n’étais pas prête. J’étais déjà porte-parole pour d’autres affaires, dont l’idée de la grosse bien dans sa peau. L’homosexualité, je voulais vivre ça simplement, juste en allant à une première avec ma blonde, main dans la main. Je me dis que j’aide peut-être la jeune fille au fin fond de sa région qui pogne la revue chez le dentiste et qui se pose des questions.

Ariane : Tu le fais dans une perspective du quotidien…

Debbie : Je reçois des témoignages tellement touchants. Des mères viennent me voir pour me dire que, grâce à moi, elles comprennent mieux leur fille.

Roxane : Après un show, une maman m’a remerciée parce que son gars avait fait son coming out à 7 ans en lui disant : « Est-ce qu’il y en a d’autres, des gens comme moi pis Rox ? Des gens qui aiment le même sexe ? » C’est fou ! Depuis le début de ma carrière, mon orientation sexuelle est très assumée. Je n’ai jamais fait de coming out public. Je pense que je montre au monde que c’est quasiment rendu normal. Au fond, Ariane a créé le chemin pour moi, littéralement.

Aviez-vous des modèles ?

Ariane : L’équipe du magazine Lez Spread the Word m’a fait me sentir un peu matante de ne pas être aussi assumée et impliquée dans quelque chose de plus grand que moi. Elles m’ont botté le derrière. Aussi, Ellen DeGeneres m’a toujours impressionnée.

Debbie : Ouais, c’est une pas pire figure de proue !

Sandy : La série The L Word. Dans le temps, j’avais un chum, mais, en regardant la série, je trouvais ça plus attirant. Je rêvais de me réveiller aux côtés d’une femme que j’aime, mais je pensais que ça arrivait juste dans les films. Je ne savais pas que je pouvais vivre ça.

Pensez-vous à l’impact de vos gestes dans les galas ?

Debbie : Non. Si j’embrasse Marina, je le fais parce que c’est ma femme.

Ariane : Je ne peux pas cacher que j’ai eu des moments d’ivresse et d’angoisse à ce sujet. Ma blonde m’encourageait à agir dans une perspective engagée. Elle ne mettait pas de pression, mais on avait des discussions là-dessus.

Roxane : Les gens voient nos beaux côtés, quand on est maquillées et photographiées avec de beaux filtres, mais c’est nos blondes qui nous ramassent à la maison quand ça ne va pas bien. C’est la moindre des choses d’exprimer notre affection pour elles naturellement.

Oui, mais longtemps, la moindre des choses n’était pas accessible. Les personnalités LGBTQ+ se sont souvent retenues publiquement…

Sandy : C’est une question de génération. Dans les années 90 et au début des années 2000, c’était pratiquement impossible. J’ai entendu dire qu’à Star Académie, on m’avait mise en danger après que la production avait appris que j’étais lesbienne…

Quinze ans ont passé depuis. Il y a maintenant beaucoup de musiciennes LGBTQ+ qui s’affichent ouvertement. Est-ce que le milieu est plus ouvert ?

Ariane : Ils n’ont pas le choix parce qu’ils sont dominés par des femmes lesbiennes ! Il y a 15 ou 20 ans, pas grand-chose se passait. Ça faisait d’ailleurs partie de certaines de mes craintes à en parler.

Sandy : Je ne pensais jamais dire ça, mais aujourd’hui, on a vraiment une belle place. Ce n’est plus un tabou d’être gai et chanteur, à part peut-être en country.

Debbie : C’est différent pour les acteurs. C’est difficile pour les gars homosexuels. Beaucoup d’amis acteurs ne veulent pas en parler, de peur d’être confinés au personnage de l’ami gai pour l’éternité.

Roxane : Ça peut fucker votre casting ?

Debbie : Oui ! Dans le milieu, il y a toujours le risque d’être enfermé dans une case. De mon côté, mon coming out n’a pas eu d’incidence. Je joue seulement des hétéros.

Roxane : Quand on me parle de la place offerte à la diversité ou aux femmes, je ne peux pas chialer parce qu’on me fait de la place. C’est correct de dire que ç’a été difficile, mais c’est important aussi de dire que c’est easy-going pour moi.

Y a-t-il encore un prix à payer en tant qu’artiste qui s’assume ouvertement ?

Sandy : Assurément.

Debbie : Sur les réseaux sociaux, on vit plein de microagressions.

Ariane : Je me suis fait souhaiter « Bonne fête des Pères » sur Twitter…

Debbie : Le monde m’écrit pour me dire que ma blonde doit faire le gars…

Ariane : En soi, être une minorité comprend des enjeux et des défis auxquels le reste de la population ne fait pas face.

-Debbie Lynch-White participe au spectacle Supernovas sur la scène TD du parc des Faubourgs le 11 août, à 20 h. -Ariane Moffatt assure le concert d’ouverture de Fierté Montréal sur la scène TD du parc des Faubourgs ce soir, à 21 h 30.  -Sandy Duperval participe au Cabaret Fierté à la place Émilie-Gamelin le 13 août, à 20 h 30. -Roxane Bruneau se produit à l’Espace Casino de Montréal du parc des Faubourgs le 15 août, à 21 h 30.