Son nom ne vous dit peut-être rien, mais ses photos, elles, sont connues de toute la planète rock. Auteur de pochettes de disques célèbres (Nashville Skyline de Bob Dylan, Music from Big Pink de The Band, Moondance de Van Morrison), Elliott Landy est aussi entré dans la légende grâce à ses clichés du festival de Woodstock, dont il était le photographe officiel. À deux semaines du 50anniversaire de cet événement historique, l’artiste américain est venu présenter ses portraits de musiciens au Québec, dans le cadre d’un spectacle hommage à Woodstock. Rencontre.

Comment êtes-vous devenu le photographe officiel du festival de Woodstock ?

On est venu me chercher. J’avais déjà photographié The Band et Bob Dylan. Mes photos étaient déjà assez connues chez les amateurs de musique. Je vivais à Woodstock. Michael Lang [organisateur du festival] aussi. Un jour, il a débarqué chez moi à moto et m’a demandé si je voulais photographier les artistes dans ce festival qu’il voulait produire. J’ai dit : « OK, je vais le faire. » Il est reparti sans qu’on ait même parlé de cachet, de droits, d’argent. Rien. Juste une poignée de main. C’était cool. C’était groovy.

Beaucoup disent que ce festival a changé leur vie. C’est votre cas ?

Non, parce que je travaillais. Être à Woodstock signifiait qu’on était coupé du monde, qu’on faisait partie d’une foule et que rien d’autre ne comptait, hormis la musique et le moment présent. Un parfait exemple de conscience globale. Tout ce que ces gens voulaient, c’était jouir de la musique. Mais moi, j’étais ailleurs. Je prenais des photos. J’allais en coulisses. J’allais sous la scène pour rester au sec quand il pleuvait. Et en ce sens, je n’étais pas vraiment à Woodstock…

Vous avez fait de l’argent avec ces photos ? Il y en a quand même de très connues…

Non, j’aurais aimé, mais j’attends encore (rires) ! Je dirais que ça a plutôt été comme revenu supplémentaire.

PHOTO ELLILOTT LANDY, FOURNIE PAR LANDY VISION

Des festivaliers gravissent la tour de son à Woodstock.

Vous avez dit un jour que Woodstock avait une vibration féminine. Que vouliez-vous dire par là ?

C’est une façon d’être. Le rôle de la figure féminine est de nourrir. De soutenir. D’écouter. D’être réceptive. L’énergie masculine est dans la domination. L’énergie féminine est dans l’ouverture. Or, si Woodstock a pu avoir lieu, c’est justement parce qu’il n’y a pas eu de contrôle. Le gouverneur de l’État de New York avait décidé de ne pas envoyer la police, de peur de provoquer des émeutes. Les gens qui fumaient de la marijuana n’ont pas été arrêtés. Ceux qui se baignaient tout nus non plus. Même s’il y avait un demi-million de personnes, il n’y a pas eu de violence. De leur côté, les organisateurs ont décidé d’accueillir les imprévus, plutôt que de les combattre, même si cela leur a fait perdre de l’argent. Il y a eu beaucoup de flexibilité de toutes parts. C’était accueillant. Féminin. C’est pour ça que Woodstock a eu lieu.

Après Woodstock, vous avez tourné le dos au milieu du rock. Pourquoi ?

J’aimais photographier des musiciens. Je trouvais qu’il y avait un sens. Un courant d’énergie. J’étais connecté à mon sujet. Mais à un certain moment, je me suis rendu compte que je commençais à penser de façon plus commerciale. Je pensais à la façon dont j’allais vendre telle photo, alors que je ne l’avais même pas encore prise ! J’ai senti que c’était en train de devenir un job… Bob Dylan m’a demandé un jour : « Pourquoi as-tu arrêté ? Tu étais au sommet. » J’ai dit : « J’en avais marre », j’avais fait le tour, tout simplement. L’art, c’est aussi de savoir se renouveler.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Les photos d’Elliott Landy seront exposées jusqu’au 31 août à la salle J.-Antonio-Thompson de Trois-Rivières, en marge du spectacle American Story 2 – Les années Woodstock.

Vous n’avez passé que deux ans à photographier des musiciens de rock. Et pourtant, c’est le travail pour lequel vous êtes le plus connu. Ça vous fait quoi ?

Ça ne me dérange pas. Tant que les gens aiment quelque chose. Je veux que mon travail soit connu. Et si quelqu’un aime les photos rock’n’roll… Je comprends que cela fasse résonner quelque chose chez les gens. Cela dit, j’aimerais aussi que les gens connaissent d’autres aspects de mon travail. Parce que j’ai fait beaucoup d’autres choses dans ma vie. Pendant presque 10 ans, j’ai pris des photos de ma femme et mes enfants. J’ai eu une phase « fleurs impressionnistes ». J’ai tourné des films. Il y a quelques années, j’ai aussi fait un livre de photos sur « l’amour à 60 ans », avec des textes de ma femme Lynda…

Vous en avez marre qu’on vous parle de Woodstock ?

Pas du tout. Ce n’est pas parce qu’on a de nouveaux enfants qu’on se désintéresse des précédents.

Comment en êtes-vous arrivé à photographier des artistes de rock ? Vous étiez fan de musique ?

J’ai commencé en couvrant des manifestations pour la paix, contre la guerre du Viêtnam. Je trouvais que ces manifestations n’étaient pas bien rapportées par les médias grand public, alors j’ai commencé à publier mes photos dans des journaux de la contre-culture. Je voulais que les gens voient qu’il y avait une autre façon d’être, une autre façon de penser. Cela m’a amené aux groupes de rock, parce qu’ils étaient le prolongement de cette réflexion et qu’ils exprimaient ce que je sentais. J’ai agi par prosélytisme.

Que reste-t-il des années 60 aujourd’hui, selon vous ?

Woodstock est un moment utopique dans l’histoire de l’expérience humaine. Même si c’était difficile, même si la nourriture, l’eau, les abris manquaient, les gens ont vécu en harmonie. On devrait en tirer des leçons. La génération hippie cherchait des réponses à des questions qui méritent encore d’être posées. Pourquoi suis-je ici ? Quel est mon rôle sur cette terre ? Comment prend-on soin de cette planète ? Comment nourrit-on tous ces gens ? Comment partageons-nous la richesse ? Comment permettons-nous aux femmes d’être égales aux hommes ? Mon message est qu’on devrait honorer et enseigner cette façon de penser. Car ce n’est pas tout le monde qui a appris. L’humanité n’en deviendrait que meilleure…

Les photos d’Elliott Landy seront exposées jusqu’au 31 août à la salle J.-Antonio-Thompson de Trois-Rivières, en marge du spectacle American Story 2 – Les années Woodstock, revue musicale mettant en vedette Rick Hughes, Pascal Dufour et Miriam Baghdassarian.