(Beyrouth) Les organisateurs d’un festival international au Liban ont été « contraints » d’annuler mardi un concert d’un groupe de rock alternatif pro-LGBT accusé d’atteinte aux valeurs et symboles chrétiens, une mesure décriée par des militants comme une atteinte à la liberté d’expression.

Avec un chanteur ouvertement gai et des textes engagés abordant diverses questions sociales, dont les droits de la communauté LGBT, le groupe Mashrou’ Leila a été formé en 2008 par des étudiants de l’Université américaine.

« Dans une démarche sans précédent […], le comité (du festival) a été contraint d’annuler le concert de Mashrou’ Leila prévu le vendredi 9 août 2019 pour éviter une effusion de sang […] », a annoncé la direction du Festival international de Byblos dans un communiqué.  

À l’origine de la controverse : un article partagé sur Facebook par le leader du groupe, Hamed Sinno, illustré par un photomontage où le visage de la Vierge Marie a été remplacé par celui de la star américaine Madonna.

Mais aussi deux chansons, Idols et Djin, offensantes selon l’Église, aux « valeurs religieuses et humaines ».

Dans un communiqué publié mardi, le groupe a condamné « une campagne délibérée » fondée selon lui, sur de fausses accusations et une distorsion de leurs paroles.  

Il a précisé que le poste polémique avait été partagé sur Facebook en 2015 et supprimé un an plus tard.

Mashrou’ Leila a également dit « regretter sincèrement d’avoir offensé les convictions de quiconque ».  

La polémique a atteint son paroxysme ces derniers jours, sur fond d’insultes et d’incitation à peine voilée au meurtre.

Mosaïque de dix-huit communautés religieuses chrétiennes et musulmanes, le Liban est l’un des pays les plus libéraux du Moyen-Orient.

Mais les institutions religieuses continuent d’exercer une influence majeure sur les affaires sociales et culturelles.

Le pays est depuis quelques années le théâtre d’arrestations récurrentes de militants ou de simples citoyens critiques de la corruption ou la religion.

« Un pas en arrière »

Des militants ont dénoncé l’annulation du concert perçue comme une atteinte à la liberté d’expression dans ce petit pays méditerranéen.  

« C’est un pas en arrière pour le Liban, qui s’est toujours enorgueilli de promouvoir la diversité et d’être un centre pour la musique, l’art et la culture dans la région », a déploré auprès de l’AFP Aya Majzoub, chercheuse au sein de l’ONG Human Rights Watch (HRW).

« Le comité du festival a cédé à la volonté d’une partie de la société ayant menacé de recourir à la violence pour annuler un évènement culturel et artistique […] », a renchéri Sahar Mandour de l’ONG Amnistie internationale.  

« Il s’agit d’un précédent […] pour la liberté d’expression », a-t-elle ajouté à l’AFP.  

L’annulation du concert intervient au lendemain d’un nouvel appel en ce sens lancé par la commission épiscopale catholique, rattachée à l’Église et chargée des affaires médiatiques.  

« La situation est devenue hystérique avec des menaces directes pour la sécurité du public et des interprètes », a avoué à l’AFP le directeur artistique du festival de Byblos, Naji Baz.

« Nous avons essayé autant que possible de trouver une solution […] », ajoute M. Baz, en référence à un compromis la semaine dernière selon lequel le groupe devait s’excuser publiquement dans le cadre d’une conférence de presse en contrepartie du maintien du concert.

La conférence n’a finalement pas eu lieu.  

« Je ne suis pas sûr que ces excuses auraient été suffisantes, car la situation était devenue incontrôlable », avoue le responsable.  

« Non à la censure »

La semaine dernière, deux des musiciens du groupe ont été arrêtés avant d’être relâchés.

Au terme de plusieurs heures d’interrogatoire, la Justice avait précisé qu’il n’y aura pas de mesures punitives à l’encontre du groupe.  

Le groupe de rock a déjà vu ses concerts annulés dans d’autres pays de la région, notamment en Jordanie en 2016 et 2017.  

En Égypte, un concert en 2017 durant lequel des spectateurs avaient brandi le drapeau arc-en-ciel avait provoqué une vaste vague de répression contre la communauté homosexuelle par les autorités.  

Au Liban, un rassemblement de soutien au groupe a été organisé lundi par des militants au centre de Beyrouth.

« Si tu crains pour ta foi à cause d’une chanson […], révise ta foi, pas la chanson », pouvait-on lire sur l’une des pancartes.

« Non à la censure », lisait-on sur une autre pancarte brandie par une manifestante.