Ces derniers jours, Matt Holubowski a déclaré en entrevue et sur les réseaux sociaux que jamais il n’avait eu aussi hâte de présenter un concert que le spectacle de clôture du 40e Festival international de jazz qui l’a fait sortir hier de son exil artistique. Tant qu’à prendre une pause de sa pause, pour un tel événement, qui plus est, mieux vaut faire les choses en grand, a-t-il dû se dire. Et les faire bien, aussi. Pari tenu : c’était grand et c’était (mieux que) bien.

Ça faisait un petit bail qu’on ne l’avait pas vu sur scène. Il prenait une pause. Des tournées, des avions, des entrevues, du public, de tout. Ce hiatus l’a revigoré, ça débordait d’allégresse (et d’un peu de nervosité, avouons-le) sur la grande scène TD. Holubowski a été émouvant de grâce, de sincérité et de délicatesse. Il a ce charisme aussi, qu’on ne peut passer sous silence, tant il envoûte. 

Et bien qu’il ait prévu d’aller s’enfermer de nouveau avant de revenir pour de bon avec un nouvel album, la soirée d’hier, ces brèves retrouvailles ont mis un baume sur le cœur des fans impatients qui attendent son deuxième album.

La dernière fois que Matt Holubowski a présenté un spectacle au Festival de jazz, c’était en 2017, au Théâtre Maisonneuve. Nous y étions, et c’était divin. La délicatesse et la mélancolie de ses chansons sont faites pour cette enceinte solennelle et intime.

Hier, la toile de fond était tout autre. On était en « vrai » mode festival, sur une vaste scène extérieure. Bien que ce ne soit pas son premier concert dans de tels paramètres, nous espérions que la délicatesse dont nous faisions état plus haut ne se perdrait pas.

Et elle ne s’est pas perdue. Mieux, sa musique, plutôt « low key », comme il l’a lui-même qualifiée, est sortie renforcée, comme si on lui avait fait gagner en intensité pour parfaitement convenir au contexte.

Pas là pour dormir

Le grand châtain aux cheveux en bataille s’est pointé sur scène, souriant, et a glissé qu’il avait « un petit secret à [nous] dire », pendant que montait autour de lui une épaisse fumée. Alors a débuté The King, une des chansons les plus vives de son répertoire. C’était explosif, comme pour dire au public que oui, sa musique est délicate, mais que non, il n’était pas là pour nous endormir. 

L’album Solitudes a déjà trois printemps et offre une musique folk douce pour le cœur, qui ose des envolées rock. On a eu droit à tout ça, mais Holubowski a aussi mis à l’essai de nouveaux titres hier. Dès le deuxième morceau, posté derrière son piano, il a présenté une première chanson inédite, lente, mais électrique. 

La voix d’Holubowski a eu toute la latitude pour aller chercher ce son haut, rauque et juste, empli d’émotions, qu’on adore. 

La couleur des nouveaux sons vire vers une autre teinte, sans vraiment dépayser. Le nouvel album (qui sortira en 2020, a-t-il dit) promet d’être beau.

Après l’inédit, on est retourné aux débuts de Matt Holubowski, quand il chantait sous le nom d’Ogen et faisait paraître Ogen, Old Man. La très jolie et mélancolique Sweet Surreal est venue faire contraste avec les deux premières chansons. C’est le beau à la façon Matt Holubowski : quoique son registre reste enrobé de morose, de discret, il sait varier les façons de nous rendre ces émotions. 

Et l’orchestre derrière le chanteur a permis à l’émotion de la chanson de résonner encore plus fort. 

Full band et frissons

On a eu droit au « full band » (guitare, basse, batterie, cordes), hier. Il a été mis à profit pour rehausser les douces mélodies au niveau de la vaste scène et de la mer de spectateurs. Sans que la fibre intime des chansons soit sacrifiée, le déploiement instrumental et les imposants arrangements ont donné tout son sens à la présence de Matt Holubswki sur la grande scène du FIJM.

Sous la fraîche brise d’été, devant des milliers de personnes, il est passé à Dawn, She Woke Me, avant une version ralentie de Folly of Pretending. Chemise et veston sombre sur le dos, il a encore une fois montré l’étendue de sa voix.

Puis l’un des rares titres en français du Montréalais, La mer/Mon père, a donné lieu à un moment instrumental de toute beauté. La longue envolée mariant guitares et batterie donnait des frissons.

Alors que résonnaient les échos du feu d’artifice au sud de l’île, Matt Holubowski a parlé au public et on a senti dans le frisson de sa voix, son hésitation dans le choix de ses mots, combien le moment était important. 

Voyage avec Holubowski

Le Montréalais est un grand voyageur. Une âme vagabonde qui a besoin de voir le monde pour mieux se l’expliquer et le transposer dans ses vers. Pour se ressourcer aussi. On sent dans les mots qu’il chante qu’il a vu beaucoup de choses, tantôt belles, tantôt laides. Il a cette faculté de rejoindre le public en lui parlant à sa manière de sentiments qui nous traversent tous. 

Lorsqu’il a chanté Mango Tree, qu’il a composée lors d’un voyage en Ouganda, il a parlé d’amour en nous faisant voyager avec lui. Un ajout instrumental inusité, le cor, s’est invité dans le refrain. Il a été intéressant d’entendre ce cuivre tout au long du spectacle.

Exhale/Inhale et L’imposteur, si personnelle et touchante, ont elles aussi bénéficié de cette intensité accrue. Le mariage entre la douceur et le survolté a été heureux.

Après que Matt Holubowski eut invité Céline Dion et Paul McCartney sur scène, c’est finalement Aliocha et Jason Bajada qui l’ont rejoint pour Over My Shoulder, chanson qu’ils ont écrite un été à Los Angeles, lors d’un camp d’écriture. Sans tout à fait concilier les styles des trois artistes, le fruit de cette collaboration est une parfaite rencontre de leurs talents. C’est la chanson d’été qui donne envie de se balancer de droite à gauche, les bras en l’air (et c’est exactement ce qu’a fait le public). 

Aliocha et Jason se sont joints aux choristes et Matt a délaissé tout instrument pour la reprise de la soirée, Chicago, de Sufjan Stevens. Le cor s’est mêlé aux violons, a résonné plus fort que les autres à certains moments, et s’est avéré plus utile qu’à sa dernière intervention. Mais c’était de loin le moment le moins intéressant de la soirée. Il en faut parfois un…

Deux nouvelles chansons ont suivi, avant The Weatherman. La première (appelons-la First Comes the Fall, faute de titre annoncé) nous a ramenés à Solitudes, mais avec un plus. On sent qu’Holubowski a voulu tenter d’ajouter une nouvelle texture à un son qu’il contrôle déjà. Devant « la plus grande et la plus polie des foules » qu’il ait jamais vue, il a proposé une excursion dans notre « happy place », avec la deuxième nouveauté.

Et il a voulu enregistrer la foule pour (peut-être) ajouter l’échantillon à cette nouvelle chanson en chantier. Le piano sonnait comme un orgue, la batterie donnait la lente cadence et la chanson était sublime, poignante.

Entre la groovy The Weatherman et The Year I Was Undone, la (superbe) finale, une autre petite nouvelle s’est fait connaître. Encore une fois, à notre humble avis, ça devrait être splendide, sur disque.

Juste pour cet avant-goût, on est moins navrés que Matt Holubowski disparaisse à nouveau pour se plonger dans la création pour les prochains mois. Si c’est pour en sortir d’autres comme celles-ci, qu’il prenne le temps qu’il faudra.