(PETITE-VALLÉE) La carrière de Patrice Michaud est née à Petite-Vallée. Littéralement. Onze ans après y avoir chanté pour la première fois, il y est cette année le « passeur », l’homme à tout faire de ce festival qui continue de faire vibrer ce coin de Gaspésie malgré les vents contraires des deux dernières années.

« C’est après Petite-Vallée que j’ai pris la décision d’arrêter ma maîtrise en littérature sur Georges Perec et de quitter ma job au Mountain Equipment Coop. J’avais 27 ans, et pour la première fois, je vivais la sensation de mettre une salle de 250 personnes dans ma poche. J’ai dû travailler beaucoup le reste après, mais ça, c’est comme une drogue. Il fallait que je le revive. »

C’est ce qu’a raconté Patrice Michaud hier matin lors d’une rencontre de presse, en cette deuxième journée du Festival en chanson de Petite-Vallée. Comme passeur invité, il est en quelque sorte la vedette et le porte-parole, le « receveur universel » qu’on croise un peu partout sur le site et autour.

Le tout a commencé pour lui jeudi soir, lors du spectacle La petite école de la chanson, qui réunissait un chœur de 350 enfants sous le grand chapiteau situé à Grande-Vallée. Ces jeunes issus d’écoles primaires et secondaires de la région ont appris les chansons de Patrice Michaud pendant l’année et les ont interprétées devant un public conquis de 1300 personnes.

Ce spectacle est un des gros succès du festival, je le connais, je connais des enfants qui y ont participé au cours des années. Je m’y étais préparé, mais c’est autre chose de le vivre.

Patrice Michaud

Lorsqu’il a rejoint les jeunes sur la scène jeudi soir, le chanteur, complètement ébranlé, avait les yeux rougis par les larmes. « C’est le plus beau spectacle que j’ai vu de toute ma vie », a-t-il lancé, ému. Pendant une heure, les jeunes avaient donc interprété des morceaux choisis de son répertoire, le tout agrémenté de mouvements et de mini-chorégraphies, menés de main de maître par une enseignante, Danielle Vaillancourt. Chaque chanson avait aussi ses solistes, et chacun d’entre eux se faisait applaudir à tout rompre.

« Sur le plan hydraulique, j’ai quand même bien géré ça. Les larmes se sont concentrées surtout au début et à la fin du spectacle », a raconté en souriant le chanteur, lui-même originaire de Cap-Chat, village gaspésien situé à environ une heure et demie de route de Petite-Vallée. Il se souvient être venu au Festival comme spectateur en 2005. « Je ne voulais plus m’en aller. J’avais demandé à ma mère qu’elle appelle à la Ville à ma place pour leur dire que j’allais lâcher ma job d’été. Je tondais les pelouses, genre. La réponse a été non ! »

Jouer son rôle

Depuis son passage comme participant en 2008, Patrice Michaud est retourné 8 fois (sur 10) à Petite-Vallée. « J’y ai été programmé, j’ai aussi été moniteur avec les jeunes pour les camps. Alors mettons que ce n’est pas facile d’aller faire mon épicerie ! »

Ce sera encore le cas pendant les 10 jours qui viennent, puisqu’il doit être partout. « Je suis un peu comme la sœur volante », rigole-t-il. Il va d’une entrevue à l’autre – après la rencontre de presse d’hier matin, il a fait une longue entrevue avec La fabrique culturelle, puis une autre entrevue au téléphone, et ainsi de suite depuis la veille –, fait des tests de son pour ses propres shows, va voir des spectacles (on l’a même croisé jeudi soir à Jérôme 50… à 23 h !), jase avec des spectateurs, des artistes, des journalistes, des bénévoles.

Être passeur, ce n’est pas pour tous les types de personnes. Il faut donner, mais aussi être capable de recevoir une aussi grosse dose d’amour.

Patrice Michaud

Ne risque-t-il pas d’être brûlé dans 10 jours ? « Oui ! Mais c’est une belle fatigue, et je suis loin de me plaindre », dit le chanteur, qui joue aussi un rôle de mentor auprès des chansonneurs, un groupe d’artistes de la relève qui passe la semaine ici, comme lui-même l’a fait il y a 11 ans.

« Mon rôle n’est pas défini, mais ça se passe souvent en dehors des moments officiels. Par exemple, jeudi, je me promenais sur la plage avec mon fils et j’ai croisé deux des chansonneurs. Ils m’ont joué une de leurs chansons, on a discuté ensuite. Ce n’est qu’à Petite-Vallée que ça peut se passer, ce genre de chose. Et c’est pour ça que les gens viennent, parce qu’ils savent que c’est un festival de proximité. C’est ce qui nous distingue. »

Objectif 2021

Patrice Michaud est fasciné par l’élan de solidarité qui a suivi l’incendie de la Vieille Forge, en 2017. Pour le deuxième été, les spectacles qui auraient dû se dérouler dans la salle de spectacle située directement sur le bord du fleuve se font sous un chapiteau. Il a été amélioré cette année – on a entre autres ajouté des murs durs –, mais le directeur du festival, Alan Côté, espère avoir sa nouvelle salle reconstruite pour 2021.

« Pour ça, il faudrait que les travaux commencent à l’automne 2020. C’est serré, mais c’est jouable », dit Alan Côté, qui ajoute que les retards ne sont pas une question de volonté ni d’argent, mais davantage de processus. Le coloré directeur attend ce matin une visite de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy. « J’espère avoir des sous pour la transition. L’an dernier, par exemple, la toile a déchiré. Et ça nous coûte 50 000 $ chaque année juste pour monter et démonter le chapiteau, explique-t-il. Disons que je n’envisageais pas ma fin de carrière comme ça, avec autant d’impondérables. »