Plein les yeux, plein les oreilles, plein le cœur, plein les tripes : Robert Charlebois a touché pas mal d’organes importants lors de la première du spectacle Robert en CharleboisScope, hier soir, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

Dans une salle pleine à craquer jusqu’au dernier balcon, c’est un Charlebois en pleine forme qui s’est produit devant une foule conquise venue notamment se rappeler des souvenirs de jeunesse – il fallait voir ce monsieur assis devant nous, lunettes, barbe grise, le cheveu rare, assis sur le bout de son siège et chantant sans arrêt, complètement happé dans une autre dimension pendant 90 minutes.

C’est que Charlebois n’a pas lésiné sur les vieux succès, et s’il en manquait nécessairement — il en a tant —, on a eu droit à plusieurs de ceux qui ont traversé les décennies avec lui sans prendre une ride, d’Ordinaire à Mon pays en passant par Les ailes d’un ange.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Un écran « grand comme deux maisons » s’est animé pendant toute la soirée d’images diverses venues amplifier les ambiances de chaque chanson.

Charlebois n’a pas lésiné non plus sur les moyens. Avec lui sur scène, pas moins de 10 musiciens — un trio de cuivres, deux batteurs, deux guitaristes, un bassiste, un violoniste, un claviériste — ont créé un mur de son capable d’emplir la salle jusqu’au fond.

Il le fallait, de toute façon, pour ne pas être écrasé par cette immense scénographie qui a été conçue pour l’occasion par l’équipe de 4U2C. On nous avait promis un écran grand comme deux maisons. On ne sait pas trop ce que ça signifie comme dimension, sinon qu’il remplissait tout l’arrière de l’immense scène de Wilfrid-Pelletier, de gauche à droite, du plancher au plafond.

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Charlebois n’a pas lésiné sur les vieux succès : OrdinaireMon paysLes ailes d’un ange et bien plus. 

Et surtout qu’il s’est animé pendant toute la soirée d’images diverses venues amplifier les ambiances de chaque chanson — créations du studio montréalais Champagne Club Sandwich —, ambiances qui étaient déjà magnifiées par les arrangements du chef d’orchestre Daniel Lacoste.

Dès la survoltée Dolorès, avec sa pluie de voitures qui tombaient sur fond noir et l’intensité des cuivres et du violon, on a su qu’on aurait droit à toute la gomme dans un spectacle où même les éclairages semblaient avoir de l’épaisseur et de la profondeur.

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Une dizaine de musiciens accompagnaient Charlebois sur scène. 

Ça s’est poursuivi, pêle-mêle, avec l’incroyable western vivant de Fu Man Chu, la mélancolie de Je reviendrai à Montréal sur des images de films amateurs d’hivers d’antan, le psychédélisme de Tout écartillé avec ses images abstraites se liquéfiant comme une peinture de Dalí, des projections d’un Garou flou et démultiplié à l’infini sur Entr’ deux joints, ou l’électricité… électrique de Te v’là.

Le tout porté par un rock’n’roll totalement assumé, chanté par un Garou de 75 ans toujours aussi sautillant, faisant ses exercices (bon, moins qu’avant, mais quand même) sur J’t’aime comme un fou, jouant de la batterie, embrassant sa guitare, faisant quelques blagues sur la température, en plein contrôle de sa voix, de ses moyens et de ses effets.

L’égérie d’une époque mythique

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À 75 ans, Robert Charlebois est encore une véritable bête de scène. 

Lorsque Louise Forestier est venue se joindre à lui sur California et Lindberg, toute menue avec ses chaussures de sport blanches — 58 ans d’amitié, a lancé Charlebois à la fin du spectacle —, bien sûr qu’on a fait un bond loin en arrière, sur fond de ciel constellé d’étoiles de toutes les couleurs. Les « crisse » bien sentis de la chanteuse sur Lindberg sont toujours aussi jubilatoires.

Mais on était aussi complètement dans le présent. Celui d’avoir la chance de voir des bêtes de scène à l’œuvre. Celui d’entendre d’immenses classiques interprétés par l’égérie d’une époque mythique, qui a chanté des auteurs aussi mythiques que lui — Pierre Bourgault, Marcel Sabourin, Réjean Ducharme, Claude Péloquin, Mouffe, Plamondon, leurs mots résonnaient fort hier soir.

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L’écran géant, qui remplissait tout l’arrière de la scène, a notamment diffusé images d’archives. 

« On va manquer not’ coup », chantait Charlebois en début de spectacle dans sa nouvelle Le manque de confiance en soi, texte de Ducharme qu’il a mis en musique sur son plus récent disque, Et voilà. Un choix baveux, mais évidemment pas prémonitoire, puisqu’à part un pépin technique vite récupéré — impressionnant, d’ailleurs, malgré cette grosse machine —, Robert en CharleboisScope est tout sauf un ratage. C’est plutôt un spectacle total que peu d’artistes peuvent offrir avec autant d’aplomb. Un cadeau, pour Charlebois, clairement, mais surtout pour nous.