(Paris) « Ma musique et moi venons d’une autre époque. Quitte à être démodé, je vis encore à cette autre époque » : Neil Hannon, alias The Divine Comedy, transporte sa pop symphonique à l’ère synthétique sur Office Politics, pour mieux explorer les affres du monde moderne.

Le 12e album du Nord-Irlandais de 48 ans, sorti rescapé sans dommage de la Britpop, sort ce vendredi. Et s’il avait déjà posé ses doigts sur des synthés au début de sa carrière pour un morceau comme Europop (1993), jamais il n’avait été aussi loin sur ce terrain new wave pour colorer tout un disque.

Comme un virage en précède toujours un autre, The Divine Comedy s’offre même le luxe de réaliser son premier double album, à une époque où menace l’obsolescence programmée des chansons.

« Depuis mes débuts, j’ai toujours gardé cette idée en tête de faire un jour un double album, un objet long, étrange. C’est de la nostalgie pure. Cette idée est vraiment démodée, mais moi-même je me sens démodé », dit Neil Hannon en riant.

En faisant comme il dit « ces chansons avec des synthés dedans », le démiurge de The Divine Comedy, digne représentant depuis bientôt trente ans d’une pop orchestrale, raffinée et romantique, a chamboulé son propre règlement intérieur comme l’induit le titre Office Politics. Une démarche qui pourrait dérouter son public.

« J’ai voulu expérimenter bien que plus que d’habitude, mais je ne trouve pas pour autant que le résultat soit… expérimental. Pas plus que l’on soit face à un album de synthétiseurs, même si j’ai toujours clamé mon amour pour eux. Il se trouve que cette fois, ils ont été des couleurs très utiles dans ma palette », objecte-t-il.

« J’avais à peine dix ans quand la synthpop a pris son envol. J’écoutais ça fasciné à Top of the Pops. Le premier 45 tours que j’ai acheté est Vienna d’Ultra Vox. Après j’ai eu des albums comme ceux de Peter Gabriel, Kate Bush, puis j’ai vite basculé dans la pop indépendante. Ce n’est qu’au début de la trentaine que je me suis remis à acheter des disques de synthpop. Mon album préféré de tous les temps est Dare de Human League, c’est un chef-d’œuvre du début à la fin », nous apprend-il.

« Chanson anti-Kraftwerk »

Si l’évolution musicale de The Divine Comedy, digne héritier de musiciens majeurs allant de Scott Walker à Kurt Weill en passant par Dusty Springfield, résonne au futur antérieur compte tenu du fait que la pop synthétique date du début des années 80, son observation du monde actuel s’écrit bien au présent. Avec toujours cet humour ironique qui le caractérise et une réelle acuité bien qu’il concède « n’avoir jamais travaillé dans un bureau ».

Dans Office Politics, Neil Hannon raconte notre société qui se déshumanise, l’arrogance et le cynisme ambiants, le tout-compétition, les machines dont nos vies dépendent.

« Ce disque c’est un peu “nous contre les forces obscures du capitalisme et des technologies”. Dans certaines chansons, j’exprime un profond désarroi quant à notre condition humaine. En découle ce paradoxe pour l’artiste que je suis : vouloir parler de choses sérieuses, tout en voulant en même temps divertir les gens. C’est pour ça que j’adopte souvent un ton sarcastique », éclaire-t-il.

Psychological Evaluation, qui détaille un test mené par une machine sur un employé illustre l’absurdité de la situation. « C’est un peu mon morceau anti-Kraftwerk, un groupe que j’aime par ailleurs. Car eux ont toujours été très sérieux là-dessus, ils voulaient que tout cela se produise un jour et on y est. Jean-Michel Jarre va plus loin lui, il cherche à utiliser l’intelligence artificielle pour créer de la musique », souligne-t-il en grimaçant sa réprobation.

Sur When the working days are done, qui clôt l’ensemble sur un air symphonique, Neil Hannon donne le dernier mot aux travailleurs, non sans amertume. « Leur colère a entraîné le Brexit. C’est un acte d’automutilation. »