Sentier perdu… amitiés disparues… espoirs déchus… rêves oubliés… boulevard des rêves brisés… autour des îles, naufrages… salle des sans issues… registre des absents… fête sanglante… le ciel nous a trahis… nous ne sommes plus d’ici… meurs parmi les pierres, nous ferons des prières… nos cœurs s’étaient enfuis… dans l’étrange pays.

Depuis son émergence dans les années 90, Leloup a cherché l’éden, arpenté la vallée des réputations, fréquenté les fourmis, croisé les junkies, exploré les paradis artificiels. Malgré les abîmes, les dommages, les écueils, les bris de parcours, les galères, les chutes de tension, les passages à vide, il cherche encore.

Ce parcours initiatique est celui d’une vie entière, dont nous sommes les témoins privilégiés. Encore aujourd’hui, trois décennies plus tard.

Il y a trois ans, Leloup a entrepris un voyage comme un seul homme, guitare et magnétophone tout-terrain à l’appui d’une imagination étonnamment fertile.

IMAGE FOURNIE PAR GROSSE BOÎTE

L’étrange pays, de Jean Leloup

Avion, moto, camion, bagnole, bottes, forêt boréale, forêt tropicale, désert, criquets, geckos, chiens, chats, écureuils, corbeaux noirs, pigeons crottés, falaises plantées dans l’océan, nuits embrumées, rideaux de pluie, flocons de neige, nuits chaudes, nuits froides, chambres d’hôtel, halls d’aéroport, sentiers, autoroutes, Charlevoix, Costa Rica et autres clairières inconnues ont été les stations de cette création.

Ainsi, Leloup solitaire a erré sur les steppes d’une terre en péril. Il s’est recueilli au loin, s’est apaisé dans la pénombre, a dépeint des horizons où se profile la déroute humaine. Poétiquement, il a cartographié les territoires de ces migrations, reconstitué cet itinéraire dans un étrange pays. Perte, abandon, guerre, absurdité, fin de l’innocence, contemplation, émerveillement traversent la contrée ici ressentie.

La guitare est jouée sans raffinement, les accords sont durement plaqués, les harmonies sont sommaires, voire redondantes. Folk plein air avec attitude rock, en fait. Ce minimalisme rustique sert pourtant des chansons magnifiques, des textes de haute volée portés par une voix si familière, à qui on est tenté de tout pardonner.

Or, cette fois, l’effort de l’auteur, du compositeur et de l’interprète est soutenu du début à la fin. Ce qui est ici présenté ne présente pas de failles apparentes, ou si peu.

Force est de constater (une fois de plus) que la pensée de Jean Leloup ne s’exprime clairement que dans la forme chanson, sa rhétorique hirsute doit obligatoirement se distiller dans la rime consonante. La lumière jaillit alors, c’est le moins qu’on puisse dire.

Du chaos de son existence et de sa psyché, du chaos de l’humanité qui transpire dans cet étrange pays, du chaos de la conjoncture terrestre, Leloup extirpe des récits mythiques. Ces mythes chansonniers constellent l’imaginaire, illuminent les ciels de l’Amérique française. On ne peut qu’applaudir chaudement.

★★★★½ INDIE FOLK. L’étrange pays. Jean Leloup. Grosse Boîte.

Écoutez l’album sur Bandcamp : https://jeanleloup.bandcamp.com/album/l-trange-pays