Qu’ont en commun Hubert Lenoir, Tire le coyote, Lou-Adriane Cassidy, Gabrielle Shonk, Simon Kearney, Jérôme 50 et Les Louanges ? Leur carrière a démarré à Québec. Un vent nouveau souffle sur la scène musicale de la Vieille Capitale, qui n’a plus rien à envier à Montréal.

À l’aube du printemps, dans les rues du quartier Saint-Roch, à Québec, plusieurs façades d’immeubles étaient couvertes de graffitis à thème contestataire. Sur le mur d’un bâtiment du boulevard Charest, un message d’Hubert Lenoir : « T’es pas la fille de personne. »

Sur un autre mur, un slogan anticapitaliste. Un peu plus loin, une référence à Catherine Dorion, députée de Taschereau pour Québec solidaire.

Ces mots peints à l’aérosol traduisent une « révolte » qui bouillonne au sein de la jeunesse de Québec. « Depuis qu’on est jeunes, on se fait dire de ne pas mettre le pied en dehors de la ligne », rapporte Jérôme 50, rencontré à son appartement chaleureux du quartier Saint-Jean-Baptiste.

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Jérôme 50

Adossé à la table de son studio-maison décoré de guirlandes lumineuses, l’auteur-compositeur-interprète poursuit : « On se dit : “T’es pas la fille de ta mère, ni celle de ton père.” C’est un cri de révolte artistique contre la mentalité dans laquelle on a grandi. »

Selon Jean-Étienne Collin Marcoux, musicien et cofondateur du Pantoum, lieu névralgique de la scène musicale de la ville, il s’est créé à Québec un « mouvement et une énergie dont les gens s’imprègnent », un « bouillonnement d’idées » qui se répercute dans la volonté créatrice de certains musiciens.

« Québec est une ville très conservatrice, très à droite. […] La communauté artistique est en réaction contre ça. Comme un retour de balancier », observe- t-il.

S’émanciper de Montréal

De l’indie au hip-hop en passant par le folk, l’électro, la pop, la chanson, le punk ou le rock, toutes les déclinaisons musicales trouvent leur place à Québec, selon Jean-Étienne.

Le métal a toujours eu sa scène bien à lui. Le hip-hop, fort il y a 20 ans, est de nouveau en vogue. Un courant rap plus expérimental se forme avec, comme porte-étendard, Alaclair Ensemble, explique Guillaume Sirois, formateur en gestion de carrière artistique depuis une dizaine d’années et conseiller artistique à l’Ampli de Québec, un organisme culturel de la ville.

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Jean-Étienne Collin-Marcoux et Jean-Michel Letendre Veilleux, du Pantoum

Une scène de musique émergente se développe et, surtout, se distingue. Et le tout se fait en toute indépendance, ou presque, du grand pôle que représente Montréal. Pourtant, « il y a 10 ans, un artiste de Québec qui voulait progresser devait aller à Montréal », rappelle Guillaume Sirois. Maintenant, dit-il, plusieurs jeunes artistes n’envisagent plus d’aller vivre dans la métropole.

Mélodie Spear, gagnante du volet auteur-compositeur-interprète de l’édition 2019 de Ma première Place des Arts, fait partie de cette relève qui n’a aucune intention de quitter Québec. « Quand je vais à Montréal pour des concours, je veux représenter Québec, affirme, enthousiaste, la chanteuse de 21 ans. Je veux partager ce qu’on fait. »

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Mélodie Spear en répétition au Pantoum

Jérôme 50, Tire le coyote, Hubert Lenoir, Gabrielle Shonk… Tous ont reçu le conseil de s’expatrier pour faire avancer leur carrière. Mais tous ont décidé de rester à Québec et d’œuvrer sur la scène locale.

« Je sens qu’il y a un désir de s’émanciper », note Jean-Étienne Collin Marcoux, qui collabore à plusieurs projets musicaux, notamment avec Beat Sexü et Anatole.

« On est très bons au Québec et à Québec pour aimer ce qui se fait ailleurs et se comparer en se minimisant. Au lieu de s’affirmer. Mais je pense que ça change. En ce moment, il y a une ébullition. » — Jean-Étienne Collin Marcoux, cofondateur du Pantoum

Un écosystème s’est créé sur la scène musicale de Québec autour du Pantoum et de l’Ampli. Des lieux de diffusion ont émergé et des maisons de disques ont été créées – dont la multifonctionnelle Coyote Records (Klô Pelgag, Loud, Karim Ouellet, Larry Kidd), fondée en 2008 et devenue un acteur majeur de la capitale nationale et de la province.

Le (gros) coup de pouce du web

Cet affranchissement a été en grande partie possible grâce à l’internet.

Le projet musical Ghostly Kisses de Margaux Sauvé compte des millions d’écoutes sur Spotify. La chanteuse s’est taillé une place dans le milieu, tout en demeurant dans son Québec natal. « Si j’avais lancé ma musique il y a 10 ou 15 ans, j’aurais eu une tout autre expérience, témoigne-t-elle. Les Spotify et Apple Music de ce monde m’ont beaucoup servie. »

Le groupe de Québec Men I Trust, qui a depuis migré vers Montréal, a lui aussi fait sa marque sur le web, sans même avoir de maison de disques. Alaclair Ensemble, dont certains membres sont de Québec, a conquis un large public en rendant sa musique accessible gratuitement sur l’internet.

« Les artistes de Québec dont la maison de disques est à Montréal, comme Tire le coyote et Lou-Adriane [Cassidy], parcourent la 20 plus souvent que n’importe qui, mais ils peuvent facilement communiquer à distance avec leur maison de disques », ajoute Guillaume Sirois.

Quand la chance s’en mêle

Selon Roxann Arcand, musicienne et copropriétaire du disquaire Le Knock-Out, situé boulevard Saint-Joseph, le « bouillonnement » musical nouveau à Québec reflète une démocratisation des moyens de diffusion. « Il y a toujours eu des bands, il va toujours y en avoir », dit-elle.

D’autres, comme Tire le coyote et Margaux Sauvé, croient que le hasard, tout simplement, a joué un grand rôle dans l’émergence de plusieurs projets à succès, ont-ils confié à La Presse.

« Il y a aussi la force du nombre : trois, quatre projets qui fonctionnent poussent d’autres artistes à les imiter, ajoute Tire le coyote, arrivé à Québec il y a 20 ans. Les jeunes qui commencent ont maintenant les ressources pour continuer. »