Mais où sont les femmes dans la programmation du festival Metro Metro ? Elles représentent à peine 15 % des artistes qui s’y produiront. J’ai posé la question à Laurence Nerbonne pour savoir ce qu’elle en pensait. Elle a salué la présence de Cardi B en tête d’affiche, et a reconnu la difficulté à concilier la vente de billets et la parité.

Marchant habilement sur des œufs, elle a également évité de nommer ce patron d’étiquettes de disques de rap québécois qui se demandait cet hiver s’il y avait des rappeuses assez talentueuses au Québec pour en avoir une dans son écurie, dans un article de La Presse+ qui a amplement circulé dans le milieu hip-hop québécois. Permettez-moi cette énumération sommaire : Sarahmée, Marie-Gold, Random Recipe, Heartstreets et Naya Ali.

Sur son récent album Feu, Laurence critique, dans la plus pure tradition de Queen Latifah, l’idée voulant que les femmes rappent moins bien que les hommes. Ce stéréotype sans fondement est tenace dans le milieu. Elle critique aussi l’archétype de la femme folle, épithète accolée à tant d’artistes hip-hop. « Folle », je lui demande, parce que ni figure maternelle protectrice ni figure d’objet sexuel prostituée au service des hommes ? Elle acquiesce à ma lecture. La « folle », dans le hip-hop masculin, comme dans bien des domaines dans notre société d’ailleurs, est ce mot utilisé pour discréditer les femmes fortes et indépendantes d’esprit — que ce soit en politique, dans les médias ou dans le milieu des affaires.

J’ai pensé à la philosophe française Catherine Malabou en jasant avec Laurence. Malabou affirme qu’à la suite de la déconstruction beauvoirienne de l’essence du féminin, il est temps de mettre de l’avant une nouvelle essence féminine, par-delà les revendications légitimes de constructions identitaires libérées. Être femme, c’est résister, selon la penseuse. « Absolument », répond Laurence. Dans tous les arts, c’est pareil, selon elle ; elle le sait bien puisqu’elle peint également. Partout il lui faut revendiquer pour exister.

C’était effectivement une femme forte et indépendante d’esprit qui mangeait tranquillement sa salade devant moi, un après-midi glorieux du week-end de Pâques dans un café du Plateau Mont-Royal. Elle arrivait du gym, pour se remettre du tourbillon de la sortie de son album, trois jours avant. C’est une philosophe qui m’entretenait, elle qui a étudié en sociologie, elle qui est plus qu’ouverte à discuter des principes éthiques et métaphysiques qui sous-tendent sa propre démarche.

Entre son premier album plus pop XO (2016) et le plus récent, où les rythmiques trap règnent, il y a quelque chose comme un passage, lui ai-je soumis, d’un paradigme visuel à un paradigme tactile ; de l’image au concret ou, si vous préférez, de ce qui se montre à ce qui se réifie. Elle est d’accord. Le hip-hop est justement quelque chose de fondamentalement corporel, viscéral, nous touchant directement dans les tripes au niveau du rythme, au-delà du règne de l’image que certains prétendent universel. Nerbonne épouse depuis peu les codes du hip-hop pour être plus vraie, ce n’est pas rien.

Ce passage dont témoigne son récent album porte aussi la trace de sa vision de son propre milieu. L’industrie du disque est un endroit bien faux, parfois, avance-t-elle. Elle a fait paraître non pas un, mais bien deux singles autour du thème de la vérité pour cet album : Semblant et Fausses idoles, qui s’inséreraient tous deux assez facilement dans un cours collégial de philo 101. Ce thème est « particulièrement important de nos jours », tranche-t-elle. Difficile de ne pas acquiescer, à l’ère des fausses nouvelles et du supposé triomphe sans appel de la coquille vide.

Notre monde semble pris entre le vrai et le faux, et cette dichotomie se présente comme un choix existentiel constant. Laurence a choisi son camp, mais semble aussi chercher à renouveler ce choix à chaque détour de sa carrière.

Le vrai, Laurence le trouve dans le « nous » des femmes, dans un certain cocon de sens qu’elle oppose aux absurdités qui l’entourent. Soit, elle reconnaît que le hip-hop peut difficilement se dissocier de l’idée du G.O.A.T. (greatest of all time), à savoir cette volonté royale récurrente de vaincre tous les compétiteurs, tellement centrale à l’histoire du genre, et ce, depuis l’époque de Roxanne Shanté, au milieu des années 80. Mais il n’y a pas que ça. En effet, dans le hip-hop de 2019, il y a aussi des gens comme Laurence Nerbonne.

PHOTO JULIE ARTACHO, FOURNIE PAR L’AUTEUR

Jérémie McEwen

Qui est Jérémie McEwen ?

Jérémie McEwen donne depuis 2016 un cours intitulé « Philosophie du hip-hop » au collège Montmorency. Un essai du même nom paraîtra à l’automne aux éditions XYZ. Chroniqueur philo sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première, il a publié sur le hip-hop dans Nouveau Projet (sur Wu-Tang) et dans Liberté (sur Enima).