Je lisais récemment que Snoop Dogg avait « survécu » au rap des années 90. Ça tombait effectivement comme des mouches autour de lui dans le hip-hop de gangster à l’époque, et il en endossait l’esprit et la lettre, ayant grandement participé à populariser cette sous-branche rap, par l’entremise de ce qu’on appelait alors le G-Funk, dont le « g » signifie vous devinez quoi.

La réalité a d’ailleurs dépassé la fiction pour lui à l’époque, alors qu’il a eu un procès pour meurtre qui a donné lieu à un de ses plus grands succès, Murder Was the Case, qui a fait l’objet d’un court métrage-vidéoclip, comme c’était jadis la mode. Dans ce film, Snoop recouvre la vie à la suite d’un pacte avec le diable.

Dès sa biographie de 1999 intitulée Doggfather, publiée alors qu’il n’avait pas encore 30 ans, il se présentait pourtant déjà comme un repenti. La plupart des chansons qui constitueront certainement les moments forts de son spectacle de samedi célèbrent une vie qu’il a vite voulu mettre de côté.

Péché et rédemption

Je dirais que le rap de gangster, fondamentalement, n’est pas si différent de la tradition inaugurée par saint Augustin, dans ses Confessions, puis reprise par Rousseau plusieurs siècles plus tard. Le gangster rappeur est un pécheur dont le récit biographique, s’il dure assez longtemps, culmine presque toujours dans la conversion. En cela, le hip-hop montre son attachement profond à la tradition chrétienne, ce qui était déjà visible en 1982 dans le classique The Message, véritable rap-sermon, grand-messe du rap, où les protagonistes cherchent à transformer leur souffrance non méritée en force créatrice, comme le conseillait déjà Martin Luther King, bien avant « I Have a Dream ».

Certains se sont étonnés, l’an dernier, quand Snoop a fait paraître un album de gospel. D’autres ont ri, quelques années avant, quand il s’est converti au rastafarisme. J’y vois plutôt la suite logique de ce qu’il a toujours été, à savoir l’auteur de son propre récit hagiographique. 

C’est l’un des rares de cette époque, à mon sens, à avoir accompli l’arche philosophique complète, de la rue à l’autel, tout en continuant de saupoudrer les ondes d’un hit tous les cinq ans. 

L’incipit de son récit était déjà semé au sein de l’esprit de Calvin Broadus, son vrai nom, alors qu’il chantait à l’église au tournant des années 80.

Depuis près de 30 ans, il passe la moitié de l’année sur la route, raconte-t-il dans l’introduction de son récent livre de cuisine, From Crook to Cook (2018). Le bon côté de la vie de routier est qu’il a permis à l’argot de son hood de Long Beach County et à la « façon d’être californienne » de s’exporter aux quatre coins du monde. Le mauvais côté de la vie sur la route, selon Snoop, est la nourriture. C’est passable une fois sur deux, au mieux. C’est pourquoi il se fait un devoir de dénicher dans chaque ville un endroit où il peut manger de ses plats préférés, tournant autour des classiques de la cuisine du sud des États-Unis.

L’attachement local par l’idée de « représenter » un lieu est fort profond dans le rap. J’aime d’ailleurs souligner qu’il n’y avait rien de cool à se dire de Compton en 1988, par exemple, mais que N.W.A. en a fait une marque de commerce. Il faut être fier d’où on vient dans le hip-hop, peu importe d’où on vient.

Gangstérisme domestiqué

Sur l’album Doggystyle (1993), qui a remarquablement bien vieilli, il laisse entendre d’un ton hobbesien que nous vivons dans un monde de « chien mange chien » (« it’s a Doggy Dog world », le double sens est clair). Remarquez, il ne parle pas de loup, comme le veut l’adage. Cela rime à son nom, bien sûr, mais il y a plus. Quand on écoute l’homme rapper, on a l’impression de se faire doucement bercer par cet accent du Sud traînant, le drawl, comme dans une chanson de blues. Sa mère, Beverly Broadus, est originaire du Mississippi. Son rap est réconfortant, mais il nous parle tout de même de meurtre et de proxénétisme.

Quand il menace de tuer un policier infiltré sur Deep Cover —  « it’s a 1-8-7 on an undercover cop », soit le numéro du meurtre dans le code pénal en Californie —, c’est sur le ton de la ritournelle plutôt que la menace, souligne Amanda Petrusich, du New Yorker. Comme si tout cela était un jeu, un gangstérisme domestiqué, si vous voulez, ou plutôt un rappeur qui a su se domestiquer avant qu’il soit trop tard.

Il a su cesser de se prendre trop au sérieux. C’est ce qui l’a mené à collaborer avec Martha Stewart à la télé, plus récemment. Ça sent fort la dope sur le plateau de tournage, paraît-il. Martha le fait boire de temps à autre, lui qui aurait mis ça de côté pas mal, et elle se gèle sur la fumée secondaire du rappeur. Construire des ponts, disait l’autre. Regardez la vidéo qui a donné naissance à leur collaboration, Snoop Makes Mashed Potatoes : c’en est charmant de rencontre entre deux mondes moins lointains qu’on le croit, celui de la cuisine bourgeoise et celui du rap de rue.

Qui est Jérémie McEwen ? 

Jérémie McEwen donne depuis 2016 un cours intitulé « Philosophie du hip-hop » au collège Montmorency. Un essai du même nom paraîtra à l’automne aux Éditions XYZ. Chroniqueur philo sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première, il a publié sur le hip-hop dans Nouveau Projet (sur Wu-Tang) et dans Liberté (sur Enima).