Un numéro comme celui qui a ouvert le 40e Gala de l'ADISQ hier ne se prépare pas en une nuit. En fait, il se concocte plutôt en deux ou trois mois, ponctués de quelques nuits blanches angoissées. La Presse s'est entretenue avec les têtes pensantes de la cérémonie lors des préparatifs du spectacle d'hier, qui nous ont dévoilé les dessous du spectacle.

Sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier, Mario Pelchat, Guylaine Tanguay, Maxime Landry et Martine St-Clair, habillés en «civil», chantent une fusion des 39 chansons de l'année de toutes les éditions de l'ADISQ. Ils y mettent du coeur, et le band qui les encercle se donne à fond aussi. Des caméras filment le tout, le télésouffleur diffuse les paroles. À la fin, l'assistance applaudit avec entrain.

Mais ils ne sont même pas 10 personnes dans le public: il y a quelques membres de l'équipe technique, ainsi que Julie Gariépy, productrice exécutive des galas de l'ADISQ.

C'est jour de générale. Dans deux jours, ce sera la vraie représentation. Mais pour l'instant, on règle tous les détails, on s'assure que tout le monde est à sa place, que les paroles sont assimilées, que le quatuor Pelchat-Tanguay-Landry- St-Clair fonctionne sur scène.

Julie Gariépy trouve que ça fonctionne, elle qui a entendu le numéro des dizaines de fois. «Je suis pas tannée, dit-elle en répétition. C'est un petit bijou.»

Après l'ovation de l'équipe technique, c'est reparti. Le quatuor se replace, la musique reprend. Et la même scène se répète quatre, cinq, six fois. Jusqu'à ce que tout soit parfait.

L'«idée de génie»

Cette année, pour le 40anniversaire, il n'était pas écrit dans le ciel qu'il y aurait un numéro pour souligner l'anniversaire du gala. Dès le mois de mars, la machine de l'ADISQ s'est enclenchée. L'idée avait été abordée, puis laissée de côté. Tôt au mois d'août, les organisateurs avaient déjà décidé, comme chaque année, en quoi consisteraient les performances présentées durant la soirée. Sauf une.

«On se laisse toujours une performance à déterminer pendant l'été, selon les festivals, selon qui est en nomination... Mais on s'est rendu compte qu'on avait déjà couvert l'ensemble des artistes de l'année. David [Laflèche] a rappelé qu'on avait dit qu'on ferait peut-être un numéro 40e», explique Julie Gariépy.

David Laflèche est le directeur musical du gala. Il devait se joindre à l'entrevue, mais il est difficile de réunir deux des grands manitous du gala en même temps à 48 heures des festivités. «Il va nous rejoindre plus tard, dit Julie. Si possible.»

Assise sur un des sièges rouges de la grande salle, elle dispose d'une courte pause entre les répétions.

Elle raconte alors qu'elle était plutôt réticente à penser qu'une performance d'anniversaire représentait la solution idéale pour combler la case libre dans la liste des numéros. 

«Au 20e, 25e, 30e, ils ont fait des medleys. Je suis allée tout revoir et je me suis dit: "Qu'est-ce qu'on va faire de plus?"»

Julie Gariépy a alors dit à David Laflèche qu'à moins qu'il n'arrive avec une idée de génie, ce numéro ne lui tentait «pas tant».

«Et il est revenu avec une idée de génie», raconte la productrice en souriant.

Plutôt qu'un pot-pourri, un mashup, ou collage. Comme celui qu'il avait vu à la cérémonie des Grammys de 1970, interprété par un duo formé de David Bowie et de Cher. «Il m'a dit qu'il avait toujours voulu faire ce tour de force», raconte Julie Gariépy.

La chanson qui les a empêchés de dormir

Et il l'a fait.

David Laflèche occupe le rôle de directeur musical de l'ADISQ, mais aussi pour l'émission La voix, depuis quelques années. Il a également réalisé plusieurs des albums et il a dirigé des orchestres dans des émissions télévisées. Il a signé la bande originale du film Starbuck. Bref, la musique, il s'y connaît. «J'ai une confiance inébranlable en la capacité de David», affirme Julie Gariépy.

Sauf que ce défi-là en était tout un, et malgré l'étendue du talent de David Laflèche, l'élaboration du numéro n'a pas été de tout repos. «D'abord la direction artistique [elle, David Laflèche, Yves Lefebvre et Jocelyn Barnabé] s'est réunie et toutes les obstinations y sont passées: quelles chansons on choisit? Qu'est-ce qu'on fait ? Comment on le fait?», raconte la productrice, ajoutant qu'elle tenait «mordicus à ce que les 39 chansons soient dans le mashup».

Hors de question de n'en choisir que quelques-unes. Mais hors de question également que le produit final dépasse les 6 minutes 30 secondes, parce que «plus long, ça n'aurait pas été aussi bon, la salle perd son intérêt». «C'est là que David embarque, il avait la mission de faire fonctionner le tout», avance Julie Gariépy.

Il y a eu des périodes de doute dans le processus. 

«On l'appelle la chanson qui nous a tous un peu empêchés de dormir. On ne voulait pas confirmer d'interprètes, on n'était pas assez sûrs. Et le temps continuait de passer.»

Le lundi de l'Action de grâce, la date limite qu'ils s'étaient imposée, David Laflèche leur fait parvenir une maquette du mashup, interprété par des choristes. «Quand on l'a écouté, on en a pleuré. On avait des frissons sur les bras», relate Julie Gariépy.

Ils se concentrent ensuite à trouver les artistes qui rendraient la fameuse chanson sur scène. Lorsque les quatre interprètes sont choisis, tout de suite, il faut commencer à répéter.

La chanson est longue, les paroles ne sont pas faciles à apprendre, il faut une coordination impeccable. «L'hommage à Harmonium et ce numéro-là sont les éléments qui font qu'on n'a jamais travaillé autant que pour cette année», révèle Julie.

Un mal pour un grand bien

Alors que la productrice explique l'ampleur du défi qui s'est imposé à David Laflèche avec la chanson d'ouverture, le principal concerné semble justement avoir un moment de répit et se joint à l'entrevue.

David est un des nombreux membres de l'orchestre sur scène pendant le numéro. «On a doublé le nombre de musiciens pour arriver à rendre les subtilités de la chanson», explique-t-il. Car pour éviter que ce ne soit que «des chansons mises bout à bout», il faut «rentrer les chansons les unes dans les autres par le sens du texte ou par la musique», ajoute Julie Gariépy.

Il lui a fallu attacher les paroles et les mélodies ensemble, ce qu'il a fait en isolant les «parties de chaque chanson que tous les gens connaissent», puis en les joignant bout à bout. Il a enfin «bougé les tonalités» pour supprimer les dissonances.

«On a réalisé qu'il pouvait y avoir 100 versions de cette chanson-là. Il y a tout le temps des liens, il fallait trouver le meilleur agencement.»

«Quand on me demande c'est quoi ma chanson préférée maintenant, ben c'est celle-là», dit David Laflèche, heureux de ce qu'a donné le travail acharné qu'il a mis dans la composition de cette pièce. La chanson «va toucher beaucoup, beaucoup de monde», croit-il.

Louis-José Houde: le 40e Gala pour ses 40 ans

Plus tard cette journée-là, ç'a été au tour de Louis-José Houde, animateur du gala depuis maintenant 13 ans, d'aller répéter ses monologues, entrées et sorties de scène, ainsi que toutes les autres considérations techniques et artistiques.

Son gala, il le prépare un peu depuis le mois de janvier, nous explique l'humoriste avant de grimper sur scène. «Dès que Julie Gariépy m'appelle, que je lui dis "OK", une minute après, je suis à mon bureau», raconte-t-il. Son cerveau se met en mode production une première fois. Puis, au printemps, quand «ils annoncent que ça va être moi qui va animer», une deuxième vague créative s'amorce.

«C'est de même à chaque année! Et cette fois, j'ai été assez productif. J'ai eu un été horrible au niveau de l'horaire [...] mais j'avais beaucoup de matériel accumulé», dit-il. De plus, par la force des choses, un changement s'est opéré dans sa façon de voir les événements dont il est témoin.

«Le matériel que j'écris, c'est devenu à l'année. Un ouvrier est venu chez moi l'autre fois, a dit quelque chose, et là, ça se retrouve dans le gala. Ça fait partie de ma vie», illustre Louis-José Houde.

À l'automne, le rodage commence pendant environ un mois, nous explique-t-il, alors qu'on nous fait signe pour la troisième fois de couper court à l'entrevue. Louis-José Houde semble lui-même un peu surpris du peu de temps consacré à l'entrevue. Mais il sait qu'il est attendu. «Ils sont en train de faire une crise cardiaque en arrière, lui dit une des membres de la production. Il faut y aller.»

Il restait moins de 48 heures avant le gala que plus de 1 million de spectateurs ont regardé hier. Tout devait être parfait.

Photo François Roy, La Presse

Maxime Landry, Guylaine Tanguay, Martine St-Clair et Mario Pelchat en répétition