Quelle mouche a piqué - encore une fois - Kanye West? Le rappeur a fait énormément réagir en affichant sur Twitter son amour pour l'humanité entière et Donald Trump en particulier. Coup de publicité, certainement, pour le nouvel album à venir, mais «Yeezy» n'agirait-il pas aussi comme révélateur explosif dans une société à la recherche de nouveaux repères?

La sortie de Kanye

Tout a commencé la semaine dernière lorsque l'animateur de radio de la chaîne américaine Hot 97, Ebro, a rapporté les paroles de Kanye West. «I do love Donald Trump», aurait déclaré le rappeur à Ebro lors d'une conversation. Une sortie pas si étonnante - West avait affirmé sur scène, l'an dernier, qu'il aurait voté pour Trump s'il était allé aux urnes, et avait ensuite rencontré le président à la Trump Tower -, mais qui a provoqué un tollé sur les médias sociaux.

West a notamment publié une photo où il portait fièrement une casquette «MAGA» - l'acronyme de «Make America Great Again» - signée par Trump. Une photo que Trump s'est empressé de diffuser!

Il faut dire que les deux hommes ont plusieurs points en commun, comme l'avait fait remarquer la journaliste Katy Walman après leur rencontre en 2016: ils sont des «performeurs» controversés qui improvisent, ils ont une propension à la mégalomanie et ils s'attaquent depuis longtemps au «politically correct»... en plus d'être absolument incapables de ne pas écrire tout ce qu'ils pensent sur leur fil Twitter!

Une position qui dérange

Devant la controverse, West a précisé sa pensée: «On n'a pas à être d'accord avec Trump, mais la foule ne peut m'empêcher de l'aimer. Nous avons tous deux l'énergie du dragon. C'est mon frère. J'aime tout le monde. Je ne suis pas d'accord avec tout ce que les autres font. C'est ce qui fait de nous des individus. Et nous avons le droit à la liberté d'opinion.»

Bien des fans et des membres de la communauté artistique ont été ébranlés par la position de West. Plusieurs internautes et médias se sont questionnés sur la santé mentale de l'artiste, qui avait dû annuler sa tournée l'an dernier après un séjour à l'hôpital où il avait été traité pour une dépendance aux opiacés.

De son côté, le musicien John Legend a tenté de raisonner West dans un message que ce dernier a relayé sur son compte Twitter. «J'espère que tu vas reconsidérer ton association avec Trump. Tu es bien trop puissant et tu as trop d'influence pour approuver qui il est et ce qu'il représente. [...] Il y a tellement de gens qui t'aiment qui se sentent vraiment trahis en ce moment, parce qu'ils savent tout le mal que les politiques de Trump causent, spécialement aux personnes de couleur.»

Condamné à être démocrate?

Pas de doute, Kanye West cherche la controverse - il y est abonné -, mais il tente aussi de rester pertinent, croit Jérémie McEwen, auteur et professeur de philosophie du hip-hop, qui suit l'histoire de près. «Cela fait 15 ans qu'il est présent, et il est à court de moyens. C'est son pain et son beurre de déranger.» Mais malgré sa manière «explosive», voire «dangereuse» de faire les choses, ne serait-il pas le révélateur d'un malaise? West dit qu'il se sent «prisonnier» du clan démocrate. Chance The Rapper lui a fait écho en écrivant sur Twitter: «Black people don't have to be democrats.»

«C'est vrai que c'est particulier comme prise de position lorsqu'on sait que Trump appuie l'extrême droite et qu'il a été élu avec une plateforme particulièrement raciste. Mais d'un autre côté, cette situation montre que les Noirs aux États-Unis ne sont pas un bloc monolithique qui pense pareil, comme le croient souvent bien des gens», remarque le rappeur québécois Webster, joint justement aux États-Unis, dans une tournée d'atelier d'écriture.

photo Seth Wenig, archives associated press

Kanye West a rencontré Donald Trump à la Trump Tower de New York, en décembre 2016.

D'ailleurs, il ne faut pas oublier que le milieu du hip-hop n'est pas très à gauche lui-même, souligne M. McEwen. «La logique de droite est présente dans le hip-hop depuis toujours. Dans le hip-hop commercial, on est beaucoup dans un discours d'enrichissement, un phénomène très individualiste.»

Philosophe... ou mercantile?

Après une période creuse, Kanye West semble investi d'une nouvelle mission. Dans une entrevue avec le designer d'intérieur Alex Vervoordt, il a d'ailleurs révélé qu'il écrivait un livre de philosophie, tout en déclarant: «I don't wish to be number one anymore, I wish to be water.» Sur Twitter, il invite les gens à appeler quelqu'un et à lui dire qu'ils l'aiment.

Et si toute cette affaire n'était qu'un gros coup commercial? Même s'il met le doigt sur un bobo, sa prise de position aura-t-elle des répercussions autres que sur les ventes de son prochain opus, qui sortira le 1er juin? Ce week-end, il a lancé en ligne le single Ye vs. The People, un rap à deux voix où T.I. et lui exposent leurs points de vue - diamétralement opposés - sur la situation. Et où le MC étale ses ambitions... présidentielles: «I know Obama was heaven-sent/But ever since Trump won, it proved that I could be president».

«Il fait de la philosophie... en direct sur Twitter et sans éditeur! Mais en analysant ce qu'il dit, j'ai surtout l'impression que c'est une grosse campagne médiatique!», conclut M. McEwen.

photo tirée de twitter

Kanye West a publié une photo où il portait fièrement une casquette « Make America Great Again ».