Le samedi 3 mars au Boquébière, un bar à spectacles du centre-ville de Sherbrooke affilié au théâtre Granada. L'ancien de La voix Geoffroy se produit à guichets fermés. Les spectateurs crient d'admiration et connaissent les paroles de certaines chansons par coeur, dont celles de Sleeping on My Own, qui frise les six millions d'écoutes sur Spotify.

Geoffroy a le vent dans les voiles depuis la sortie de son album Coastline, il y a un an. Il vient de signer un contrat avec Mathieu Drouin de l'agence d'artistes Crystal Math (Metric, Half Moon Run, Grimes) et avec l'important agent de tournée Tom Windish de la boîte Paradigm.

«Tout se place et c'est excitant», dit Geoffroy, qui a même quitté son emploi il y a un mois pour se consacrer à la musique.

Il tire bien son épingle du jeu sur Spotify. Il figure sur plusieurs playlists et cumule des millions d'écoutes. Montréal est la ville où il est le plus écouté, suivie de Mexico, Toronto, Los Angeles et New York. «Les statistiques de Spotify sont vraiment utiles pour connaître tes marchés», souligne-t-il.

LA question: bon ou mauvais, le streaming?

«Bon, lance Geoffroy. Mais Spotify est un outil promotionnel dans des marchés internationaux que tu veux développer. Ce n'est pas une source principale et fiable de revenus.»

Si Spotify est utile pour Geoffroy à l'international, son public local l'écoute aussi via le service d'écoute en ligne. Du moins, c'est ce que nous ont confié de nombreux jeunes adultes sherbrookois présents à son spectacle au Boquébière.

Quand Rose-Marie Hamel veut écouter Geoffroy, la jeune femme de 22 ans le fait sur Spotify. «Je l'ai découvert avec Charlotte Cardin dans une liste d'artistes à découvrir.»

«Avec Spotify, ce qui est cool, c'est que ça t'amène à découvrir d'autres artistes quand tu le mets en mode aléatoire», souligne l'abonnée au service.

Mais Rose-Marie Hamel aime tellement Geoffroy qu'elle a acheté son album, «par principe».

Son amie Camille Gervais a découvert Geoffroy à La voix. Aujourd'hui, elle l'écoute aussi sur Spotify.

«C'est tellement pratique. Tu paies 10 $ par mois et tu as toute la musique que tu veux. Sorry, mais cela vaut la peine.»

À l'image des tendances de l'industrie de la musique, l'étudiante en communications achète beaucoup de billets de spectacles. Récemment, elle a vu Milk & Bone, Philippe Brach et Loud sur scène. «Je suis allée voir Pierre Lapointe la semaine passée [au Granada]. Il a pris 15 minutes pour parler au public à la fin et il a dit: "Si tu as de l'argent, achète mon CD. Si tu es étudiant, va sur Spotify, car c'est mieux que rien."»

«Je n'achète pas de CD et je suis sur Spotify, mais je vais voir des shows. I guess que cela s'égalise un peu», raisonne-t-elle.

Utile pour les tournées

Camille Poliquin, de Milk & Bone, est elle aussi abonnée à Spotify. «Pour moi, Spotify est merveilleux pour découvrir de la musique. Si j'aime Sufjan Stevens, on me suggère des chansons que j'adore. Mais quand j'aime un album, je vais l'acheter en vinyle», nous explique-t-elle depuis New York.

Pour un artiste, Spotify s'avère aussi fort utile. «Spotify te permet d'avoir des statistiques sur qui t'écoute pour mieux cibler tes shows. Notre première tournée aux États-Unis, on l'a faite parce que des gens nous écoutaient sur le territoire américain. C'est sécurisant pour notre agent de tournée américain de voir que tant de gens nous écoutent à Nashville, par exemple. Il sait que des gens nous attendent.»

«Avoir trois millions d'écoutes pour une chanson, c'est une affaire, mais savoir que nous avons tant d'auditeurs différents par mois, c'est intéressant», fait valoir Camille Poliquin.

«La chanson Natalie, on ne pensait pas la sortir. On l'a sortie parce qu'on voulait avoir une chance que la bande originale de King Dave soit nommée pour le prix. Finalement, les gens l'ont adorée! Or, nous avons mis zéro promo», souligne-t-elle.

Les services d'écoute en ligne démocratisent l'industrie de la musique. Le bémol majeur: ses redevances. «Ce n'est pas vrai que le côté financier vient avec les écoutes.»

Le tarif mensuel est trop bas, plaide Camille Poliquin. 

«À partir du moment où on offre à des gens un abonnement à seulement 10 $ par mois pour qu'ils écoutent tout ce qu'ils veulent, c'est difficile de le leur enlever et de revenir en arrière. Je trouve qu'Apple et Spotify ont décidé trop vite que l'abonnement allait coûter 10 $.»

Spotify est là pour de bon. «C'est plus fort que nous. On ne peut pas dire non», dit Geoffroy, qui tire l'essentiel de ses revenus des spectacles et de l'édition musicale.

Récemment, sa chanson Raised by Wolves a joué dans la série How to Get Away With Murder, alors que son plus récent extrait, Wanderer, a été choisi pour la campagne de promotion touristique du Québec à l'international. Après s'être produit à guichets fermés au Club Soda à Montréal en lumière, il se produira au MTelus pendant le Festival de jazz.

La notoriété passe par le streaming

Les programmateurs de festivals, les organismes subventionnaires et les commanditaires tiennent maintenant compte des écoutes que les artistes suscitent sur les plateformes de musique en ligne.

«C'est plus que jamais un indicateur pour nous, spécialement pour les artistes rap», confirme Julien Aidelbaum, programmateur du festival Santa Teresa et imprésario d'Alex Nevsky. «Les services de streaming deviennent la norme pour le consommateur. On devrait voir une augmentation fulgurante dans les prochaines années.»

L'artiste montréalaise Beyries se retrouve sur une dizaine de listes d'écoute sur Spotify. Sa chanson Son figure sur Your Favorite Coffeehouse, qui compte près de 192 000 abonnés, alors que The Pursuit of Happiness fait partie d'Acoustic Afternoon (48 000 abonnés). Résultat: ses deux chansons cumulent, ensemble, 3,5 millions d'écoutes.

«Nous avons des retombées, indique son imprésario Emmanuelle Girard. Nous allons au Festival de jazz d'Istanbul grâce à Spotify. L'ancien gérant de Lou Reed [Tom Sarig] nous a aussi contactées.»

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

Le duo Milk & Bone, Camille Poliquin et Laurence Lafond-Beaulne