Régulièrement critiquée pour son manque d'ouverture, la cérémonie des Grammy Awards pourrait retrouver une légitimité dimanche en sacrant le hip-hop, genre musical dominant aux États-Unis, qui a écrasé les nominations.

Pas moins de trois albums hip-hop ont été nommés pour la récompense de l'album de l'année, parmi cinq candidats, une première dans la catégorie reine qui ne compte aucun artiste masculin blanc cette année, du jamais vu.

Le vétéran Jay-Z mène la troupe avec son album 4:44 et ses huit nominations au total, avant une soirée qui pourrait lui permettre de s'approcher du record absolu de récompenses (31), lui qui en compte déjà 21.

Il est suivi par Kendrick Lamar et Childish Gambino, deux autres rappeurs retenus dans la catégorie album de l'année, avec la chanteuse néo-zélandaise Lorde et l'archéologue de la funk Bruno Mars.

Exceptionnellement, les Grammy Awards, récompenses de l'industrie musicale américaine, font un détour par New York cette année, avant de revenir l'an prochain à Los Angeles.

Curiosité durant les années 70, émergent durant les années 80, le hip-hop est devenu un genre majeur dès les années 90.

Mais bien qu'elle ait créé des prix dédiés au rap dès 1989, et en compte désormais quatre, la Recording Academy, organisation professionnelle de l'industrie musicale forte de 13 000 membres, est accusée depuis de longues années de snober le hip-hop dans les catégories majeures.

Seuls deux disques hip-hop, The Miseducation of Lauryn Hill de Lauryn Hill en 1999 et Speakerboxxx/The Love Below d'Outkast en 2004 ont décroché le Graal, la dernière fois il y a près de 15 ans.

Où sont les femmes?

Sur le plan commercial, le hip-hop pèse des milliars de dollars et est devenu, cette année, le style le plus populaire aux États-Unis avec 24,5% des écoutes (chiffres combinés avec le R&B), contre 20,8% au rock, selon l'institut Nielsen.

Les résultats du scrutin pourraient être influencés par la mise en place, très tardive, du vote électronique, susceptible d'ouvrir les urnes à de plus jeunes professionnels de l'industrie musicale.

«Les années passées, il y a eu un manque de présence de la culture hip-hop, mais je pense que le rap commercial est maintenant entré partout, que ce soit dans la musique ou dans les films», estime Akil Houston, professeur à l'Université d'Ohio et spécialiste du sujet.

Pas toujours bien accepté par l'establishment, le hip-hop a considérablement augmenté sa présence grâce à l'avènement de la musique dématérialisée et plus encore de l'écoute en ligne.

«C'est un moyen de contourner les points d'entrée traditionnels de l'industrie, les barrières et les obstacles», souligne Murray Forman, professeur à l'Université Northeastern et autre spécialiste du hip-hop.

Outre le fait de représenter le plus grand mouvement musical actuel, plusieurs des rappeurs ont aussi pour eux, en vue du palmarès 2018, d'incarner aussi parfaitement leur époque.

Kendrick Lamar et Jay-Z proposent ainsi des textes parfois politiques, qui évoquent la condition de l'homme noir aux États-Unis.

Reste que si les Grammys sont depuis longtemps très égalitaires sur le plan du sexe, le hip-hop reste dominé par les hommes.

En 28 années de palmarès et sur plus de cinquante récompenses, une seule rappeuse, Eve, a jamais été primée, en 2002.

Cette année encore, en plein mouvement d'émancipation des femmes après l'éclatement de l'affaire Weinstein, les deux sensations féminines de 2017, Cardi B et Rapsody, ont été tenues à l'écart des quatre catégories générales majeures.

Les femmes l'ont déjà emporté près d'une vingtaine de fois dans la catégorie reine d'album de l'année, mais le milieu reste à la main des hommes, estime Tanya Pearson, fondatrice du Women of Rock Oral History Project au Smith College, qui documente la contribution des femmes à l'histoire du rock.

«Toute l'imagerie sexe, drogue et rock'n'roll est misogyne et masculine», plaide-t-elle, «et les femmes sont toujours face à ce contexte».

Considéré comme très en retrait d'Hollywood sur le sujet du harcèlement sexuel, le monde de la musique s'est réveillé en sursaut cette semaine et un groupe de musiciennes ont proposé de porter une rose blanche dimanche pour évoquer la question.