Fini le jazz et les cuivres: le batteur compositeur Manu Katché passe à l'électro-soul avec un groupe réduit, et c'est en Iran qu'il lève le voile sur son futur album.

«J'ai fait beaucoup de jazz pendant plusieurs années et puis tout d'un coup, prenant de l'âge, j'ai juste eu envie de m'amuser un peu et je me suis dirigé vers ce que vous venez d'entendre et qui est en train d'être enregistré en studio», a lancé - en anglais - le musicien français de 59 ans au public venu l'écouter jeudi soir au 33e Fajr Music Festival de Téhéran.

Pour ce concert unique, joué à guichet fermé dans la salle aux strapontins rouges et dorures impériales du Vahdat Hall (construit sous le Chah), Manu Katché présente le nouveau groupe qu'il forme avec le bassiste Jérôme Regard et le guitariste Patrick Manouguian: The Scope.

Le programme de la soirée n'a été joué «nulle part ailleurs, c'est une grande première donc ça va être intéressant», a confié Manu Katché dans un entretien accordé à l'AFP avant de monter sur scène.

«Pour moi c'est un vrai privilège parce que je ne suis pas certain qu'il y ait beaucoup de musiciens français qui soient venus ici jouer. J'espère que ça va monter, que la sauce va prendre et qu'il y aura un bel échange», dit-il.

La sauce prend rapidement. Sous les portraits du fondateur de la République islamique, l'ayatollah Rouhollah Khomeiny, et de son successeur l'ayatollah Ali Khamenei, actuel guide suprême iranien, les quelque 750 spectateurs se laissent emporter par une musique entêtante, envoûtante, virant à l'électro-pop avec par moments des accents psychédéliques.

Ayant joué avec le gotha de la chanson française (Jean-Jacques-Goldman, Michel Jonasz, Véronique Sanson, Laurent Voulzy et bien d'autres), Manu Katché a acquis une renommée internationale après avoir accompagné le chanteur britannique Peter Gabriel pour son album So en 1986 et a multiplié les collaborations avec les grand noms de la pop mondiale avant de se lancer dans le jazz en tant que compositeur et interprète.

Impensable il y a quelques années

«J'ai fait dix ans de jazz (...) j'y ai pris beaucoup de plaisir (mais) j'avais envie de changer radicalement», dit-il : l'envie «d'apporter un petit peu de côté on-tape-des-pieds-on-tape-dans-les-mains, on peut choper le petit refrain, le chanter, en même temps avoir le sourire et peut-être éventuellement danser.»

«Je ne crois pas que ça soit du jazz, je crois que c'est plutôt toutes mes influences soul et pop mélangées (...) c'est peut être un virage, je ne sais pas», ajoute-t-il.

Impensable il y a quelques années, la venue d'un musicien comme Manu Katché à Téhéran est le signe d'une certaine ouverture entamée depuis l'élection en 2013 du président Hassan Rohani, conservateur modéré.

L'interdiction de la musique décrétée rapidement après la victoire de la révolution islamique de 1979 a été progressivement levée. Ce fut d'abord l'autorisation de la musique «révolutionnaire», qui permettait de galvaniser les combattants, pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran (1980-1988).

Puis l'accent fut mis sur la musique traditionnelle iranienne, la musique occidentale, qu'elle soit classique, pop, rock ou jazz, restant toujours interdite, jugée «décadente».

Après l'ouverture du président Mohammad Khatami (1999-2005) annulée par le tournant ultraconservateur de son successeur Mahmoud Ahmadinejad, la promotion d'événements musicaux est plus facile depuis 2013, mais les restrictions restent nombreuses et tout concert reste soumis à une autorisation du ministère de la Culture et de la Guidance islamique.

«Ce concert n'a pas dépassé les lignes rouges iraniennes et il a pu se tenir; c'était super et cela nous a beaucoup plu», dit Elnaz Ghajar, une spectatrice.

Resté trop peu à son goût à Téhéran - mais suffisamment pour constater que la vie peut y être dangereuse pour les piétons - Manu Katché dit repartir avec le souvenir d'«une très, très belle lumière», et l'envie de revenir.

«L'accueil était très chaleureux», a-t-il lancé au public, «je vais passer le message» à l'étranger.