Intense cité est un album composé des mots du camelot de L'Itinéraire Siou, ainsi que de la musique et de la voix du chanteur Paul Cargnello. Ce dernier a donné vie aux poèmes à la suite d'une rencontre fortuite avec le parolier il y a maintenant deux ans. L'album est offert tout le mois de décembre à l'achat du magazine L'Itinéraire.

Siou (Sylvain Deslongchamps), poète-parolier et camelot pour L'Itinéraire depuis trois ans, explique qu'il a parfois de la difficulté à rassembler et à organiser ses idées. Son trouble anxieux généralisé, dont il parle ouvertement et avec lucidité, est doublé d'un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH) et d'un traumatisme crânien causé par un accident de vélo, qui a exacerbé le désordre de son esprit.

Assis dans un divan du studio de Paul Cargnello, Siou se rappelle ses «moments les plus difficiles».

«Il y a trois ans, mon anxiété était à son pire. Je n'étais même plus capable de payer mon loyer ou de me chercher un logement abordable; c'était trop me demander.»

À l'époque, il avait entendu parler d'un programme de L'Itinéraire lié à la santé mentale; il n'existait toutefois plus à son arrivée. On lui a proposé d'être camelot, un «job» qu'il croyait réservé aux personnes dans la rue - un a priori partagé par beaucoup. «De façon logique, ils m'ont répondu qu'ils n'attendraient pas que je sois dans la rue pour me venir en aide, relate-t-il. Et c'était certainement là que je m'en allais.» 

Le Groupe communautaire L'Itinéraire soutient les personnes exclues du marché du travail traditionnel, ayant connu l'itinérance, la dépendance ou souffrant de problèmes de santé mentale.

«Socialement, je n'ai jamais abouti à rien, dit Siou, le regard triste. Je ne comprenais pas ce qui se passait.»

Ayant eu son diagnostic tardivement, il est passé par des périodes très troubles avant de parvenir à se redresser récemment. La création, le dessin et la poésie l'ont aidé dans ce cheminement. «Ce sont les seules choses qui peuvent m'allumer, m'aider à avancer et à faire de quoi de ma vie», explique le parolier.

«L'obligation des artistes»

Paul Cargnello et son projet d'album ont surgi dans l'équation un an après que Siou a rejoint L'Itinéraire.

Dans le cadre des troisièmes états généraux de l'itinérance au Québec, organisés par le Réseau solidarité itinérance en 2015, des camelots étaient jumelés à des professionnels afin de créer des chansons. Plusieurs textes ont été proposés à Cargnello. «J'ai vu ceux de Siou et j'ai tout de suite aimé son style», se rappelle-t-il.

Après avoir composé une première chanson à partir d'un poème de Siou, il a voulu «pousser ça plus loin» et l'a recontacté pour qu'il lui envoie tous ses écrits, dans le but de les réunir sur un disque. «J'aime beaucoup collaborer, mais c'était la première fois que j'utilisais les textes de quelqu'un d'autre dans un de mes projets», note-t-il.

Pour sa part, Siou s'étonne d'arriver à «travailler pas mal» lorsqu'il crée, lorsqu'il est dans «son élément».

«J'écris pour moi. Ce ne sont pas des sujets à mes yeux, c'est mon vécu - mon trouble d'anxiété, par exemple, qui m'emporte et me bloque.»

«Il y a un conflit en lui et dans ce qu'il écrit», observe Paul Cargnello. Le compositeur dit apprécier particulièrement les textes de Siou pour la «dichotomie de l'engagement social confronté à la souffrance personnelle» de l'auteur, «une très belle balance» qui lui permet d'éviter le piège de la morale.

Malgré les thématiques sombres de la plupart des paroles de Siou, Intense cité est «dansable», note Paul Cargnello, qui a tenté d'y apporter de la joie grâce à des intonations reggae. «Je pensais aux Colocs, à Tassez-vous de d'là, par exemple : un texte dur à écouter, mais une chanson fun», illustre Cargnello.

Boucler la boucle

L'auteur-compositeur-interprète est reconnu pour son engagement, lui qui s'est impliqué avec l'ATSA (Action terroriste socialement acceptable) et a été porte-parole de l'organisme Le Sac à dos, qui vise l'insertion sociale et économique des personnes en situation d'itinérance.

«À mes yeux, c'est une obligation des artistes. Il y a tout le temps quelqu'un qui met un micro devant toi, qui te donne une chance de parler, alors autant parler de quelque chose d'important, comme la lutte contre la pauvreté.»

Le projet d'album représente pour lui un moyen «d'attirer l'attention sur la problématique [de l'itinérance], sur le Groupe communautaire L'Itinéraire et de permettre aux camelots de vendre plus de magazines».

L'Itinéraire a d'ailleurs une signification toute particulière pour Paul Cargnello. Alors qu'il a grandi dans une communauté anglophone et a abandonné l'apprentissage du français après le secondaire, sa position sur la langue officielle a changé lorsqu'il a déménagé au centre-ville de Montréal. «Je me suis rendu compte que je n'aurais pas dû lâcher, dit-il. Alors j'ai voulu recommencer à apprendre le français et je l'ai fait en lisant L'Itinéraire

C'est donc une boucle qui se boucle avec la sortie de son cinquième album en français en collaboration avec l'organisme. «C'est poétique, je trouve. C'est grâce à L'Itinéraire que je compose en français, c'est juste logique que ça arrive.»

Pour Siou, l'organisme a été d'une précieuse aide en lui évitant de tomber encore plus bas lors des pires moments de sa vie, ce dont il se dit incroyablement reconnaissant. Il est également reconnaissant de l'arrivée de Paul dans son existence.

«J'ai toujours voulu faire ce qu'il fait. Pour moi, c'est un rêve d'adolescent de vivre de l'art, dit-il. Mais j'ai toujours été bloqué ; ça a toujours été inaccessible à mes yeux. Mais ce qui arrive en ce moment, c'est beaucoup... Et peut-être que je vais ensuite pouvoir voler de mes propres ailes.»

Depuis le 24 novembre, l'album est offert sur toutes les plateformes de téléchargement et on en obtient un exemplaire à l'achat d'un magazine L'Itinéraire. «Je ne veux pas que les gens pensent que c'est juste pour une bonne cause, car ce n'est pas ça du tout, déclare Paul Cargnello. C'est de la bonne musique. C'est une belle rencontre et un bon album.»

image fournie par l'itinéraire

Les deux complices ornent le numéro du 1er décembre du magazine.