À 43 ans, Emily Haines est au sommet de son art et revient le partager de concert avec Soft Skeleton, groupe à géométrie variable et à structure souple. Ainsi baptisé il y a 11 ans, ce « doux squelette » est voué à porter ses projets créatifs en solo, qui remontent à l'adolescence.

Après Cut In Half and Also Double (1996) et Knives Don't Have Your Back (2006), le plus récent, Choir of the Mind, nous a été dévoilé en septembre et récolte les éloges depuis sa sortie. D'où la suite des choses sur scène.

Trois albums solos en trois décennies, donc. Trois décennies entre lesquelles la chanteuse, parolière et compositrice a oeuvré principalement au sein du groupe Metric, sans compter une collaboration importante au fameux collectif Broken Social Scene.

De passage à Montréal la semaine dernière (à l'invitation de l'émission Belle et Bum), Emily Haines nous a accordé une interview de dernière minute à la salle à manger de son hôtel chic, devant son plat d'huîtres et sa flûte de crémant.

« Ma vie a beaucoup changé depuis Knives Don't Have Your Back, a-t-elle amorcé. Je garde la sensation étrange que cette période a été à la fois très longue et s'est passée tellement vite que je pourrais la mettre dans ma poche ! J'ai quand même dû travailler fort pour faire en sorte que mes chansons nouvelles puissent se connecter aux anciennes. »

INSPIRÉE PAR SAVITRI

Choir of the Mind, le plat principal de son actuelle tournée, est le résultat d'une croissance organique et non d'un objectif clair, fait-elle observer.

« Je ne peux qualifier cet album de projet. À un certain moment, il m'est devenu évident qu'une fenêtre s'ouvrait. Je suis très heureuse d'avoir été réceptive à cette occasion créative, même si ce n'était pas planifié. Un bon artiste doit toujours travailler et la récompense de l'inspiration vient parfois. »

Pour la chanson-titre de cet opus de haute volée, Haines s'est inspirée notamment de Savitri, fameux livre poétique du sage indien Sri Aurobindo, dont le titre est d'ailleurs inscrit dans le nom légal de la chanteuse, et qui a toujours fait partie de son environnement. Rappelons qu'Emily Haines est née en Inde ; sa mère y avait ouvert une école dans la région de New Delhi.

« Entre deux séances d'enregistrement, j'étais rentrée chez moi et j'avais ouvert Savitri. Un passage a été choisi parce qu'il s'inscrivait parfaitement avec la chanson Choir of the Mind dont la création était à un stade avancé - elle puisait aussi son inspiration de Lou Reed, plus précisément la chanson Street Hassle. Je suis retournée en studio et j'ai enregistré la lecture de ce passage en une seule prise. La chanson s'est restructurée comme par magie. »

SUR SCÈNE

La puissance et les contradictions de l'esprit autonome au féminin, le devoir de construire sur l'amour, l'auto-évaluation sans complaisance, voilà autant de thèmes centraux du nouveau spectacle signé Emily Haines.

Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Emily Haines a réalisé elle-même ses chansons, après quoi son collègue et complice, le multi-instrumentiste Jimmy Shaw - avec qui elle avait fondé Metric après avoir formé le Mainstream en 1997 - s'est joint à elle afin d'étoffer le travail.

« Il sera avec moi sur scène. Notre groupe sera classique : guitare, basse et batterie - je ne veux pas dévoiler l'identité des autres musiciens, c'est une surprise. Il y aura des moments où je serai seule avec des voix en surimpression qui incarnent mes démons et qui me lancent des mots cruels, assassins - à la manière d'une performance audiovisuelle diffusée par CBC Music. Le son sera fort, pur, sombre, le tempo sera lent. Vous savez, ce n'est pas facile de jouer lentement et de bien exécuter la musique, mais j'adore ! »

ÉLEVER L'ESPRIT

Choir of the Mind n'annonce aucune réforme importante dans la manière de faire de la pop. Sa qualité se love dans les recoins de l'écriture et de l'exécution. Voilà une approche délibérée.

« Une chanson doit d'abord être invitante avant de se révéler. On peut aussi rester en surface à son écoute : si tu n'y vois qu'une forme classique, bienvenue quand même chez moi. Mais si tu veux approfondir davantage, tu peux découvrir des choses au-delà de la forme apparente. »

Fille du poète et parolier Paul Haines (1933-2003), qui a déjà écrit pour la musique, notamment le projet Escalator Over the Hill de Carla Bley, Emily Haines est férue de littérature.

« Je pourrais un jour m'investir dans d'autres formes littéraires comme la prose, mais je n'aime pas barboter superficiellement. Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'avoir trouvé mon affaire : la pop. Ce besoin de créer des oeuvres plus consensuelles est probablement une réaction aux choix de mon père, qui avait souffert de se sentir incompris. C'est mon truc, remarquez, je n'en fais pas un principe général. »

N'empêche... Choir of the Mind porte les qualités de la substance littéraire paternelle et celles de la convivialité pop. « Regardez du côté de mes amis de Broken Social Scene : ils peuvent être à la fois accueillants et élever l'esprit. C'est aussi mon objectif. »

Élever l'esprit en choeur, il va sans dire.

À l'église Sainte-Thérèse-d'Avila de Sainte-Thérèse, ce lundi soir 4 décembre, à 20 h