En mai 2009, peu de temps après la sortie de son troisième disque, Lhasa de Sela donnait deux concerts en Islande, au Reykjavik Arts Festival. À l'occasion de la sortie du disque Lhasa Live in Reykjavik, son frère et trois des musiciens qui l'accompagnaient alors - tous devenus des piliers de la scène indie montréalaise - nous ont parlé de leurs souvenirs de la chanteuse morte le 1er janvier 2010.

Joe GrassJoe Grass, qui joue de la guitare et de la pedal steel, a fait des disques solos et accompagné entre autres Patrick Watson, Marie-Pierre Arthur et Marie-Jo Thério.

Quel est votre souvenir de ce séjour en Islande?

C'est un souvenir musical et émotif. Nous avons passé deux semaines là-bas. C'était le début de la tournée et nous étions en train de préparer le spectacle complet. On travaillait les pièces, mais c'était aussi un temps de grande incertitude, car Lhasa était déjà malade. On ne savait pas que ce serait les derniers spectacles; c'est après qu'elle a décidé de reporter la tournée. Tout cela s'est passé pendant ces deux semaines-là.

Quand vous écoutez le disque, vous entendez quoi?

Les couleurs sont déjà définies. Notre façon était très libre: il y avait de l'espace, les chansons respirent. Nos antennes étaient toutes sorties quand on jouait. On entend la légèreté de la voix de Lhasa quand elle chante, et elle nous entraînait dans cet esprit-là.

Est-ce que Lhasa a influencé votre carrière?

Oui. Lhasa m'a appris l'importance du moment. Elle savait c'était quoi, le feeling d'une toune, et comment aller loin dedans sans briser la magie. Elle m'a fait réaliser que tu peux jouer à gauche, bizarre, mais c'est mieux que de casser le feeling. Je n'ai jamais joué avec quelqu'un qui avait autant d'intensité. Elle trouvait le langage pour chaque morceau.

Sarah Pagé - Harpiste membre des Barr BrothersLes spectacles de Reykjavik ont été les derniers de Lhasa, mais vous l'ignoriez. Ça change votre vision de votre séjour là-bas?

Ça fait bizarre d'y penser. Pour nous, c'était les premiers grands concerts après la sortie de l'album. C'était tellement fragile. On voyait que les spectacles lui prenaient toute son énergie. J'aime beaucoup ce disque live, je le préfère même au disque studio. Il y a une vulnérabilité, des moments où on ne savait pas ce qui allait se passer. La seule chanson que je ne peux pas réécouter, c'est A Change Is Gonna Come de Sam Cooke. Ça me brise le coeur d'entendre Lhasa chanter: «It's been too hard living, but I'm afraid to die.»

Quel est votre souvenir de Lhasa?

Lhasa n'est pas un souvenir, elle fait partie de moi, de ce que je suis maintenant. Chaque jour que tu passais avec elle te changeait complètement, et j'ai passé énormément de journées avec elle. 

Est-ce que Lhasa a eu un impact sur votre vie d'artiste?

Oui. Chaque fois que je me demande quel chemin je devrais suivre, je pense à ce que Lhasa me conseillerait. Je sais qu'elle me dirait toujours de faire ce qui est le mieux pour moi, car elle veillait au bien-être de ceux qui l'entouraient. Lhasa était une artiste intègre qui ne faisait jamais de compromis et elle était très tranchée: c'était oui ou c'était non. Elle m'avait dit une fois: «If it's maybe, it's no.»

Mischa Karam - Frère de LhasaPourquoi sortir ce disque live maintenant?

Lhasa laissait toujours passer sept ou huit ans entre ses albums, et ça fait huit ans depuis le dernier... Après sa mort, on avait des choses à vivre, on n'était pas prêts. C'est la première chose qu'on voulait sortir, mais il fallait juste faire ça au bon moment.

Quelle image avez-vous de Lhasa quand vous écoutez ce disque?

On sent que tout le monde dans le groupe s'écoute vraiment. On entend la fragilité des débuts, et la voix de Lhasa qui est plus naturelle. Avant sa maladie, elle chantait avec beaucoup d'émotion... Sur ce disque, l'émotion est restée, mais elle la pousse moins. On entend l'optimisme, le début de quelque chose de beau.

Ce qui est troublant, c'est que ces spectacles ont été ses derniers...

Elle était déjà malade, mais elle vivait sa vie comme si ça allait continuer. La raison d'être de cet objet, c'est qu'il y a quelque chose à l'époque qui s'est passé. C'est un cadeau de Lhasa.

Il y a ce disque, il y aura un spectacle pour les 20 ans de La Llorona au MTELUS le 16 décembre... On voit que Lhasa suscite toujours une certaine ferveur.

Comme personne et comme artiste, Lhasa était toujours vraie. Si ça lui prenait autant de temps entre deux albums, c'est qu'elle refusait la pression de l'industrie. Elle faisait les choses à sa façon, même si c'était parfois difficile. Le résultat de cette authenticité, c'est qu'elle créait un art unique et intemporel, en dehors d'un buzz ou d'un son. C'est ce qui fait que ses chansons sont toujours aussi pertinentes, sept ans après sa mort.

Andrew Barr - Batteur membre des Barr BrothersQuel est votre souvenir de ce séjour en Islande?

Je me souviens d'être dans un jacuzzi avec Lhasa, dehors, et un hibou qui vole au-dessus de nous... Nous avons vraiment absorbé le paysage islandais pendant qu'on était là-bas. C'était nos premiers spectacles après le disque, nous étions nerveux et confiants. La musique était toute fraîche dans notre esprit.

Vous ne saviez pas que ces spectacles seraient les derniers. Comment vous sentez-vous quand vous y pensez?

Encore aujourd'hui, je me sens triste. Une chance qu'on ne savait pas que c'était les derniers shows, sinon, on aurait pleuré sur scène en jouant. Lhasa était fière de ce troisième disque, qu'elle avait autoproduit, et c'est triste qu'on n'ait pu en entendre plus, plus longtemps.

Lhasa a eu un impact sur votre vie de musicien?

C'est peu de temps après sa mort qu'on s'est regroupés et qu'on a fondé les Barr Brothers. Dans sa vie, Lhasa aimait raconter des histoires, elle mettait en scène toutes sortes de fictions remplies de personnages. C'était la même chose sur scène. Elle m'a appris que lorsque tu joues une chanson, tu crées une ambiance, une trame sonore pour une histoire. Elle était une experte là-dedans.

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CHANSON. Lhasa Live in Reykjavik. Lhasa de Sela. Audiogram. En magasin.

Image fournie par Audiogram

Lhasa Live in Reykjavik