Si la dématérialisation de la musique a changé nos habitudes d'écoute, elle a également modifié la façon de produire les albums; car, non, on n'enregistre plus un disque au Québec avec les mêmes moyens - technologiques et financiers - qu'il y a 15 ans. Tour d'horizon avec des propriétaires de studio et des artistes d'ici.

À la recherche de nouveaux revenus

En janvier 2016, après avoir été propriétaire du Studio Victor durant 30 ans, Gaétan Pilon a dû fermer les portes du mythique lieu d'enregistrement construit en 1942 par RCA Victor.

Derrière celles-ci, les Jean Leloup, Mara Tremblay, Rock et Belles Oreilles, Daniel Bélanger et Roch Voisine ont enregistré des compositions qui sont devenues des classiques de la chanson québécoise.

«Avant les années 2000, les artistes pouvaient passer 20, 30 ou 40 jours en studio avec toute leur équipe, explique l'ingénieur de son de formation. Le producteur, le réalisateur, les musiciens, les ingénieurs: il y avait du monde dans mon studio! Puis, à partir de 2005, mon chiffre d'affaires a commencé à diminuer d'année en année, les albums à moins se vendre, les labels à faire moins d'argent. Le web s'est démocratisé, les logiciels sont devenus très accessibles pour les artistes et, il y a deux, trois ans, c'est devenu encore plus difficile avec l'arrivée du streaming [service d'écoute en continu]. Là, les autoproductions ont explosé. J'ai donc décidé de passer à autre chose. Mes revenus ne couvraient plus mes coûts de production.»

Des ventes en baisse

Les chiffres compilés par Nielsen SoundScan et publiés au début du mois d'avril par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) tendent à confirmer les dires de Gaétan Pilon: les ventes d'albums au Québec sont en baisse constante depuis 10 ans.

Photo André Pichette, archives La Presse

En janvier 2016, après avoir été propriétaire du Studio Victor durant 30 ans, Gaétan Pilon a dû fermer les portes du mythique lieu d'enregistrement construit en 1942 par RCA Victor. Il a depuis ouvert le Studio 451.

Concernant les ventes numériques uniquement, une baisse de 25% des ventes des productions québécoises a également été inscrite en 2016. 

«L'adoption du numérique par les anciens acheteurs de CD ne compense plus la perte occasionnée par les consommateurs qui délaissent l'achat au profit de l'écoute de musique diffusée en continu», note le chercheur Claude Fortier, chargé de projet à l'OCCQ.

De nouveaux revenus 

Ces données incitent les producteurs, ceux qui financent les enregistrements, à faire preuve de retenue quand vient le temps de passer en studio. 

«C'est vrai qu'ils sont devenus rares, les artistes qui arrivent avec plus de 20 000 $ pour faire un disque, alors qu'il y a 10 ans, c'était un montant minimum», admet M. Pilon. 

«Aujourd'hui, faire des profits avec un studio d'enregistrement, ça ne se peut presque plus. Ceux qui poursuivent dans ce métier, ils le font par passion pour la musique avant tout, pas pour l'argent.» 

Et ils doivent chercher de nouvelles sources de revenus. 

C'est le cas de René Aubé, directeur général des Studios Piccolo, là où Céline Dion et Simple Plan ont notamment enregistré des albums. 

L'homme passionné de musique explique avoir diversifié l'offre de services aux artistes pour assurer la rentabilité de son lieu. «Il y a encore de grosses productions, des trucs à 50 000 $, 100 000 $, mais il y en a moins qu'à une certaine époque, laisse-t-il savoir. Ça nous pousse à innover. On loue l'endroit pour des tournages télé et vidéo, pour des concerts, et on a aussi une unité mobile d'enregistrement. On est plus qu'un simple studio d'enregistrement au sens traditionnel du terme.» 

Un outil de travail

En plus de la baisse du financement des enregistrements, l'accessibilité accrue aux logiciels de création a incité de nombreux artistes à se tourner vers l'autoproduction, au détriment de l'enregistrement en studio. Résultat: une explosion des albums maison. 

Gaétan Pilon, qui a lui-même mis en place une plateforme de partage en ligne de fichiers musicaux pour les musiciens (SkyTracks), croit tout de même que l'avenir de la musique québécoise, voire sa survie, inclut un passage en studio, là où l'on retrouve des spécialistes de la musique et un environnement professionnel. 

«Aujourd'hui, la musique du monde entier est disponible aux auditeurs. Pour se démarquer, il faut d'abord offrir un produit de grande qualité. Le studio, avec ses artisans et ses professionnels du son, il est là pour ça. C'est l'outil de base du musicien, du groupe ou du chanteur sérieux, qui veut commercialiser ses chansons, qui veut jouer la "game" et faire face à la concurrence internationale. Si on veut voir nos artistes sortir du lot sur les marchés internationaux, il y a une éducation musicale à faire sur ce point avec eux.»