Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band n'est pas nécessairement l'album des Beatles que tout le monde préfère. Certains ne jurent que par l'exquis Rubber Soul, l'expérimental Revolver ou encore le petit dernier Abbey Road avec son remarquable enchaînement de chansons sur la face B du vinyle.

Mais à peu près tout le monde s'accorde à dire que Sgt. Pepper est leur album le plus important. Combien d'artistes au fil des ans, de Phil Collins dans le documentaire The Making of Sgt. Pepper, réédité dans des coffrets anniversaires parus hier, jusqu'à Roger Waters qui enregistrait dans le studio d'à côté le premier album de Pink Floyd, ont dit qu'avec Sgt. Pepper, les Beatles ont ouvert une porte par laquelle se sont faufilés à leur suite nombre de jeunes musiciens.

Par son concept original qui permettait aux Beatles de s'affranchir un peu de leur passé, par l'envergure de ses chansons, ses innovations techniques et le soin accordé à sa pochette sur laquelle on pouvait lire pour la première fois les textes des chansons, Sgt. Pepper a donné ses titres de noblesse à l'album rock. À ce chapitre, il y a bel et bien eu un avant et un après Sgt. Pepper.

«Je crois en effet que Sgt. Pepper a été en quelque sorte le lancement de l'album. Contrairement à un quarante-cinq tours, un album nous emportait dans différents voyages. Un simple est un genre d'expresso, mais un album est le repas complet», acquiesce au bout du fil Giles Martin, dont le père George a réalisé les albums des Beatles et les a vus progresser à une vitesse inimaginable en sept petites années.

C'est à Giles Martin, qui a longtemps été les oreilles de son père handicapé par des problèmes de surdité, que les Beatles ont confié le remixage stéréo de leur album mythique 50 ans après sa parution, le 1er juin 1967. C'est le premier projet des Beatles auquel il s'attaque depuis la mort de son père.

Un sommet de cohésion

Giles Martin a accompagné son père à la fin de sa vie, mais il était à Boston par affaires quand Sir George a rendu l'âme, le 8 mars 2016. Il est aussitôt rentré en Angleterre.

«Quand je suis retourné en studio et que je me suis mis à écouter les bandes de Sgt. Pepper, la première voix que j'ai entendue était la sienne. Ça m'a rappelé ce que Yoko m'avait dit à propos de John quand on travaillait sur [le spectacle du Cirque du Soleil] Love: "C'est étrange, John est juste une voix maintenant." 

«Pour moi, c'était comme une thérapie de travailler sur Sgt. Pepper qui fut le plus beau moment de la carrière de réalisateur de mon père.»

Les Beatles et George Martin ont atteint un sommet de cohésion pendant les mois qu'ils ont consacrés à l'enregistrement de Sgt. Pepper, affirme Giles Martin. Pendant que leurs fans et les journalistes s'inquiétaient de ne rien entendre de nouveau de leur part, les Beatles étaient au travail.

«Ils ont même terminé la chanson Magical Mystery Tour avant de finir de mixer Sgt. Pepper. Puis Sgt. Pepper est sorti et ils ont fait All You Need Is Love», rappelle Giles Martin.

En partant, ils ont mis 55 heures à achever Strawberry Fields Forever qui ne fait pas partie de Sgt. Pepper parce qu'ils l'ont fait paraître en quarante-cinq tours en février 1967, mais que Giles Martin a remixée avec Penny Lane pour les nouveaux coffrets.

«De nos jours, 55 heures, ce n'est rien, mais il faut se souvenir qu'ils avaient enregistré leur premier album en 14 heures, note Giles Martin. J'estime que Strawberry Fields Forever est la réalisation la plus réussie de mon père [dont c'était la chanson préférée du répertoire des Beatles]. Le but d'un réalisateur est d'accomplir le rêve d'un chanteur, et c'était presque impossible d'accomplir les rêves de John Lennon pour qui rien n'était jamais assez bon.» 

«Strawberry Fields Forever est probablement la chanson avec laquelle mon père est passé le plus proche d'accomplir le rêve de John [Lennon].»

Photo John Locher, Archives Associated Press

Les producteurs George et Giles Martin

Des découvertes

Sgt. Pepper est l'album des Beatles que préfère Giles Martin qui est né deux ans et des poussières après sa parution. Un album dont il a percé quelques secrets en écoutant les bandes originales de l'époque dont des extraits inédits ont été reproduits sur deux des CD inclus dans les coffrets lancés hier.

Ainsi, il ne savait pas que les Beatles avaient essayé d'enregistrer un choeur pour la fin d'A Day in the Life. Et quand il a dit à Paul McCartney que Fixing a Hole n'avait pas été facile à mixer parce qu'elle avait été enregistrée ailleurs qu'à Abbey Road, celui-ci lui a raconté qu'il avait invité en studio un hurluberlu qui s'était présenté chez lui en prétendant être Jésus.

«Ils ont donc enregistré Fixing a Hole avec Jésus en studio, rigole Giles Martin. Mais ce qui m'a stupéfait en repassant à travers toutes ces bandes, c'est à quel point ce disque en est un de performance en direct. On voit aussi combien il y a d'amour dans cet album. On les entend parler et ils tirent tous dans la même direction.»

Plus encore, Giles Martin a compris récemment que même si Sgt. Pepper n'est pas vraiment un album concept, ses chansons gagnent à être écoutées d'un trait.

«Quand, après le premier matriçage, je suis allé remettre l'album aux gens de Capitol aux États-Unis, ils m'ont demandé ce que j'allais leur faire entendre. "Quoi, l'album au complet ?", m'ont-ils lancé. Je leur ai répondu que s'ils n'étaient pas capables d'écouter un album pendant 38 minutes, ils ne devraient pas travailler dans l'industrie de la musique. Et je me suis rendu compte ce jour-là que les chansons de Sgt. Pepper prennent tout leur sens quand on les écoute l'une après l'autre plutôt que séparément comme quand on les mixe. Après cette séance d'écoute, j'ai remixé quatre chansons.»

Sgt. Pepper est l'album de la maturité des Beatles. À l'époque, leurs chansons, leurs costumes, leurs moustaches, tout donnait l'impression que les quatre garçons dans le vent avaient vieilli subitement.

«En réécoutant l'album aujourd'hui, ça nous frappe qu'ils n'avaient alors que 24 ou 25 ans, souligne Giles Martin. De nos jours, on parlerait presque d'un boys band

Image fournie par Apple

Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, édition anniversaire, des Beatles