Ils y sont nés ou venus, y sont restés ou en sont partis. Par dizaines, par centaines, des artistes ont mis Montréal en textes et en musique depuis près de 375 ans. Sa fondation, ses ruelles et ses boulevards, sa résilience, ses aubes et ses aurores: la métropole a enchanté. Elle a été chantée en retour. Écoute commentée de sept pièces contemporaines emblématiques. Dans le désordre et parmi tant d'autres.

Montréal, de Beau Dommage (1974)

Ma première blonde, j'l'ai rencontrée dans un hangar

On jouait à guerre, elle était espionne, moi j'étais mort

«À l'époque, j'étais amoureux d'une fille, et j'étais amoureux de ma ville; j'ai voulu faire une chanson qui mêlait les deux. [...] J'ai essayé de décrire la vie dans Villeray, un quartier populaire. Je suis plutôt content de ce que ça a donné. Ça ne paraît pas, mais nos chansons sont écrites de façon rigoureuse. Celle-ci est écrite en vers de 12 pieds, [une métrique] particulièrement majestueuse. Je voulais que ce soit une chanson qui se déplie tranquillement, qui grandisse de couplet en couplet. Au début, je dis que ce n'est pas facile de tomber amoureux à Montréal, et à la fin, que je suis amoureux. Comme quoi, oui, c'est possible d'être amoureux à Montréal.» - Pierre Huet, parolier et cofondateur

Montréal est une femme, de Jean-Pierre Ferland (1985)

Montréal est une femme

Tu me l'avais dit

Je pars et tu restes

Et je m'ennuie de plus en plus

De Montréal, PQ

«Montréal n'est peut-être pas la plus belle ville du monde, mais c'est la plus sexy. J'ai vécu la moitié de ma vie à Montréal. Toutes mes histoires d'amour y résident. Les meilleures comme les pires. Tous mes mariages et tous mes divorces, mes plus beaux souvenirs patinent encore de la rue Chambord à la rue Crescent. Montréal est une femme et je m'en ennuie. Montréal est une femme, couchée dans le lit du fleuve Saint-Denis-Maisonneuve. Montréal mon amour. J'ai écrit cette chanson quand je vivais à Paris. P.-S.: Montréal est une femme. Une femme bleu blanc blouse!» - Jean-Pierre Ferland

Hometown Waltz, de Rufus Wainwright (2004)

You may ask why I want to torch my home town

Partly it's bitterness and hopping 'round and 'round again

On Ontario Street looking up

Maybe I'll catch him on his way to the show

«Hometown Waltz porte sur ma relation sans fin d'amour-haine avec Montréal. Être anglophone et né aux États-Unis, mais avec beaucoup de famille canadienne-française, me fait sentir ici à la maison plus que nulle part ailleurs. En même temps, je m'y sens complètement aliéné. C'est un excellent état d'esprit pour un artiste ; il ne faut jamais que ce soit trop confortable.» - Rufus Wainwright

Les nuits de Montréal, de Jacques Normand (1949)

Dans le monde entier on sait qu'là-haut, c'est beau

Oui mais ici on a aussi des filles jolies

Des cabarets des boîtes de nuit

Pour y chanter dans la gaieté

Des airs légers

Paroles: Jean Rafa

«C'est une chanson qui capture l'air du temps, un état d'esprit. En 1949, Montréal continue d'attirer les touristes américains [après la prohibition] et a conservé sa réputation de ville de plaisir. C'est un appel d'air après une crise économique et la Seconde Guerre. La télévision n'existe pas, alors les gens vont au cinéma, dans les cabarets... Le burlesque est très populaire. Alors que les night-clubs attirent les vedettes américaines, on dit dans Les nuits de Montréal: attention, il y a beaucoup de francophones et de francophiles, on veut autre chose. [...] C'est l'époque où l'on découvre des chanteurs comme Raymond Lévesque, Félix Leclerc et de futures stars de la chanson française. Je vois dans cette chanson l'affirmation, à l'extérieur de Paris, d'une scène francophone et décomplexée.» - Éric Bédard, historien et professeur à la TÉLUQ

PHOTO ROBERT SKINNER, archives LA PRESSE

Rufus Wainwright

So Long, de Cat Empire (2007)

She looks alright that's Romina she's dancing on the speakers 

And speaking of moving Ruben's places started

«L'un de nos meilleurs moments en tant que groupe a été de jouer au Festival de jazz de Montréal pour la première fois [en 2006]. On a joué librement, forts et fiers. Pendant notre dernière chanson, une jolie femme qui avait des yeux tatoués sur les pieds - nous avons appris plus tard qu'elle s'appelait Romina - a grimpé sur l'un des haut-parleurs à l'avant de la scène. On se devait de la connaître, elle, mais aussi ses amis et sa famille. On est tous sortis dans un bar, le B-Side, et on a fini la soirée sur la montagne pour regarder le coucher de soleil. Une amitié allait naître avec chacun d'eux, et c'était le début d'une tradition où on se faisait plaisir dans cette ville incroyable. Cette chanson témoigne de cette incursion de la jeunesse dans le chaos.» - Felix Riebl, chanteur et parolier du groupe australien Cat Empire

Montréal, de Tomás Jensen (2008)

N'en déplaise à Nougaro à Cherfi à Sicre ou aux Femmouzes 

Pour y vivre ou y mourir Montréal vaut bien Toulouse

«J'ai écrit le refrain de cette chanson en improvisant. C'était juste un petit bout d'une longue improvisation qui partait dans tous les sens. Le reste est venu quand j'ai remarqué qu'il y avait pas mal d'artistes - Nougaro, Cherfi [Zelda], Sicre [Fabulous Trobadors], les Femmouzes T - que j'aime beaucoup qui viennent de Toulouse et qui ont écrit sur leur ville. J'ai voulu que Montréal ait sa revanche. Elle aussi possède ses charmes et mérite d'être chantée.» - Tomás Jensen

Photo André Pichette, archives La Presse

Tomas Jensen

Montréal XO, de Laurence Nerbonne (2016)

J'ai besoin du froid, de tes yeux sur moi

Montréal, attends-moi

Je reviens pour toi

«C'est une lettre d'amour à Montréal. Je fais allusion à la croix du mont Royal, à l'odeur de la pluie sur les rues, mais c'est surtout à la diversité de notre génération que je rends hommage. Chaque fois que je reviens en ville, je me rends compte à quel point nous sommes un peuple diversifié et différent, et c'est ce qui fait notre beauté et notre force. Montréal XO, c'est l'ode à une génération renouvelée, et ouverte sur le monde. Je sens que cette chanson nous ressemble et nous rassemble!» - Laurence Nerbonne

Et tant d'autres incontournables...

> À Montréal, de Lionel Daunais (1954)

Une ode fort descriptive aux beautés de la ville. Aux côtés notamment de La Bolduc, Daunais a largement contribué à l'émergence d'une chanson française nord-américaine.

À Rosemont sous la pluie, de Guylaine Guy (1954)

Signée Raymond Lévesque, cette chanson d'amour a notamment inspiré Beau Dommage dans son exploration de la «montréalité», aux dires du parolier Pierre Huet. Idem pour En veillant su'l perron, écrite par Camille Andréa à la même époque.

Suzanne, de Leonard Cohen (1968)

Un polaroïd musical de sa rencontre (platonique) avec Suzanne Verdal, ex-femme du sculpteur Armand Vaillancourt, dans un appartement du Vieux-Montréal.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Laurence Nerbonne

> Je reviendrai à Montréal, de Robert Charlebois (1976)

Chantée et composée par Charlebois, cette promesse de retour rend grâce à Montréal et à sa nordicité. Peu savent toutefois que les paroles ont été écrites par un poète... français. Le Montpelliérain Daniel Thibon, plus précisément.

> J'ai souvenir encore, de Claude Dubois (1966)

Né à Montréal, Dubois raconte son enfance entre les «robineux de Viger et les putains d'la Saint-Laurent». Dure jeunesse, mots tendres.

> Neighborhood #3 (Power Out), d'Arcade Fire (2004)

Si de nombreux vers écrits par Win Butler évoquent sa ville d'adoption tout au long de Funeral, cette chanson fait explicitement référence à la crise du verglas qui a figé Montréal (et une bonne partie du Québec) en 1998.

> Montréal, d'Ariane Moffatt (2006)

L'ivresse de l'arrivée à Dorval sur un air up-tempo. L'un des grands succès de 2006.

> Montréal - 40 °C, de Malajube (2006)

Du texte de Julien Mineau, on retiendra particulièrement ce constat glacial sur Montréal: «Une ourse polaire dans l'autobus».

> À Montréal, de Grand Corps Malade (2010)

Un slam déclamé par le Français Fabien Marsaud, habitué de la métropole.

> Paul Chomedey de Maisonneuve, de Patrice Michaud (2014)

Le cofondateur de Ville-Marie raconté par Alexandre Belliard dans ses Légendes d'un peuple.

Et puis le rap...

Témoins d'une métropole bilingue, métissée, complexe et parfois bipolaire, les lignes de rappeurs comme Loud Lary Ajust, Manu Militari, Koriass ou Dead Obies racontent la ville sans filtre ni compromis.

Photo Édouard Plante-Fréchette, archives La Presse

Robert Charlebois