Après Annie Villeneuve, Zachary Richard recourt à une campagne de sociofinancement pour produire son prochain album. S'agit-il d'une tendance que de plus en plus d'artistes de la chanson embrasseront au cours des prochaines années ?

« Est-ce que je me sens comme une vieille pute ? Non. »

Vétéran de la chanson, Zachary Richard a causé la surprise à la fin du mois de mars en se tournant vers le sociofinancement pour produire son 21e album. Le chanteur de la Louisiane n'éprouve toutefois aucune gêne à emprunter cette voie, à l'exemple d'Annie Villeneuve et de plusieurs autres artistes.

« Aux États-Unis, c'est fréquent de voir des projets de sociofinancement. Mais le Québec ne semble pas à l'avant-garde là-dessus. Les gens semblent encore frileux ou ne semblent pas trop comprendre de quoi il est question », dit-il.

« Ce n'est pas de la charité, je ne suis pas un quémandeur. Je ne suis pas en train de dire que l'industrie de la musique est abominable, donnez-moi de l'argent pour que je puisse survivre. Ce n'est pas ça, du sociofinancement. »

- Zachary Richard, auteur-compositeur-interprète

Sur la plateforme Kickstarter, l'auteur-compositeur-interprète propose des forfaits de 25 à 10 000 $. En échange, les donateurs peuvent recevoir un album autographié, assister à un spectacle privé, voyager en Louisiane avec lui pendant le Mardi gras, etc.

« J'ai mis beaucoup de temps à élaborer chaque forfait. Je cherchais à donner aux contributeurs une expérience positive et un accès à l'artiste », dit celui qui souhaite amasser 45 000 $.

« Nous sommes un peu dans le Moyen Âge en ce moment, ajoute-t-il. Le troubadour allait de château en château pour chanter et se faire payer son souper. C'est un peu le même esprit en ce moment. Il n'y a pas de château, mais je donne une expérience positive à chaque participant. »

J'ARRÊTE OU JE CONTINUE ?

Martin Véronneau est le président de Local 9, une agence de promotion radio et de relations de presse. Depuis 17 ans, il travaille dans le milieu de la musique et, comme plusieurs, il constate que de plus en plus d'artistes se posent la même question : j'arrête ou je continue ?

« Même ceux qui ont de beaux succès ne vendent plus d'albums. Où est-ce que ça s'en va ? Faut-il changer complètement la game ? Faut-il faire du sociofinancement ? Peut-être. »

- Martin Véronneau, président de Local 9

Comme tous les autres, il souligne qu'il y a - bien entendu - des subventions gouvernementales qui sont offertes aux artistes. Sauf qu'il y en a de moins en moins, nous rappelle-t-il.

« Malheureusement, les programmes de subvention ne sont pas capables de subvenir à toutes les productions. Même pour 2Frères, c'est difficile », ajoute celui dont l'entreprise assure toutes les communications du duo 2Frères, qui a vendu plus de 100 000 exemplaires de l'album Nous autres.

FAIRE PARTICIPER LES FANS

Mathieu Lippé est un bon exemple de la réalité dépeinte par Martin Véronneau. Puisqu'aucune maison de disques ne voulait produire son troisième album, le gagnant du Festival de la chanson de Granby en 2011 a décidé de le faire par lui-même. Grâce à une subvention de Musicaction et une campagne de sociofinancement, il a réussi à amasser la somme nécessaire pour régler les coûts de l'album Les amants de l'aube.

À propos de son projet de sociofinancement, il confie : « J'étais gêné au début, j'avais peur que les gens perçoivent ça mal, même si ça se fait partout dans le monde. Mais je me suis aperçu que les gens ne l'étaient pas. En fait, ceux qui t'aiment sont contents de participer à la création de ton projet », dit Mathieu Lippé.

Finalement, au cours du processus, Productions Martin Leclerc a démontré de l'intérêt pour son album et a signé un contrat avec lui. Son imprésario applaudit sa démarche et croit que, dans son cas, les répercussions ne sont que positives. Par contre, il ne suggérerait pas à tous ses artistes de présenter un projet de sociofinancement.

« Je ne pense pas qu'avec un de mes artistes établis, j'irais là. Ça demeure un avis personnel. Mais pour Mathieu Lippé, il fait partie de cette génération pour qui ça devient une belle façon de se faire connaître et de se développer un bassin d'admirateurs », dit Martin Leclerc, qui s'occupe aussi de la carrière de Brigitte Boisjoli, Renée Martel et Michel Louvain.

UNE TENDANCE À LA HAUSSE

Audrey Benoît est la présidente et cofondatrice de la première plateforme de sociofinancement au Québec, Haricot. Elle affirme que la musique est une des catégories qui fonctionnent le mieux sur son site et que les artistes réussissent souvent à atteindre leur objectif.

« Il faut voir ça comme de la prévente. Au lieu d'acheter après, tu achètes avant. Et en plus, il y a souvent des récompenses. Par exemple, tu peux avoir un spectacle de musique dans ton salon », dit l'auteure et ancien mannequin.

Lorsqu'un artiste décide de s'autoproduire, il porte ainsi le chapeau que les producteurs de disques portent normalement. Mais régulièrement, il va quand même signer un contrat sous licence avec ces derniers pour qu'ils assurent notamment la distribution, la mise en marché et les relations de presse.

« Dans la situation actuelle, c'est inévitable que les artistes créent un lien plus direct avec leurs fans. Il y a une augmentation constante des projets en sociofinancement. »

- Audrey Benoît, présidente de Haricot

Annie Villeneuve abonde dans le même sens. « Ça me fait plaisir qu'il n'y ait plus autant d'intervenants entre moi et le public. C'est comme un deuxième départ que je fais, explique-t-elle. Ça prend beaucoup d'humilité pour faire ça et certainement de l'audace. » La chanteuse a produit son dernier album, 5, avec un contrat sous licence avec Musicor.

LES AVANTAGES DE L'AUTOPRODUCTION

Même s'il n'a jamais fait de campagne de sociofinancement, Patrice Michaud a toujours produit ou coproduit ses albums, avec des contrats sous licence, dont chez Spectra Musique. Il n'y voit que des avantages.

« Nous recevons une plus grande part sur chaque album vendu. Et aussi, nous sommes propriétaires de nos bandes maîtresses. Si quelqu'un veut utiliser une chanson sur une compilation ou si un artiste veut faire une reprise d'une de tes chansons, ce n'est pas la maison de disques qui a le pouvoir décisionnel, c'est toi ! Parce que sinon, légalement, les bandes maîtresses leur appartiennent », dit Patrice Michaud.

Il comprend tout à fait pourquoi de plus en plus d'artistes souhaitent ainsi porter le chapeau de producteur. Et il ne voit pas quel est le problème si, pour y arriver, ils choisissent le sociofinancement.

« Je ne comprends rien à ceux qui chialent ! Les gens disent oui ou non à l'artiste ou à toutes les autres personnes qui proposent un projet. C'est de l'entraide entre citoyens », explique celui qui a vendu plus de 10 000 exemplaires de son dernier album, Almanach, en seulement deux mois.

En citant en exemple la faillite du distributeur de disques québécois DEP, l'auteur de Je cours après Marie ajoute : « L'industrie du disque va mal. Il y en a qui font comme si ça n'existe pas et d'autres qui allument et se préparent. Les maisons de disques doivent aussi trouver des solutions, peut-être qu'elles doivent devenir des entités plus légères. »

« Le portrait change. Si on ne veut pas manquer le bateau, il faut bouger », conclut-il.

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ZACHARY RICHARD

Album : son 21e (titre inconnu)

Sortie prévue : novembre 2017

Fin de la campagne : 7 mai 2017

Objectif : 45 000 $

Plateforme de sociofinancement : Kickstarter

MATHIEU LIPPÉ

Album : Les amants de l'aube (sortie en mars 2017)

Campagne lancée en septembre 2016

Objectif : 5000 $

Somme amassée : 10 517 $

Plateforme de sociofinancement : Indiegogo

ANNIE VILLENEUVE

Album : 5 (sortie : vendredi)

Campagne lancée en novembre 2016

Objectif : 60 000 $

Somme amassée : 64 893 $

Plateforme de sociofinancement : La Ruche

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Mathieu Lippé

Pas que pour la relève

Les artistes qui se tournent vers le sociofinancement ne sont pas marginaux. Voici quatre personnalités bien connues qui se sont tournées vers ce mode de financement pour réaliser des projets.

RUFUS WAINWRIGHT

Pour financer l'enregistrement de son opéra Prima Donna avec l'orchestre de la radio de la BBC, Rufus Wainwright a fait une campagne de sociofinancement. En 2014, il a proposé une vingtaine de forfaits, dont un qui permettait au donateur de chanter sur la scène du TNM avec lui. Pendant la campagne, le chanteur a confié à notre collègue Alain de Repentigny qu'il y avait peu de donateurs québécois au rendez-vous. « Je dois admettre qu'on aurait pu attirer plus de participants à Montréal, mais je suis certain qu'il y en a qui vont s'ajouter à la dernière minute, comme le veut la tradition québécoise : on vient tous à la fête, mais on arrive un peu en retard. » Il a finalement atteint son objectif, qui était fixé à un peu plus de 200 000 $.

RICHARD DESJARDINS

Richard Desjardins est un précurseur. À propos de son album Les derniers humains, sorti en 1988, il est écrit sur son site web : « Plus riche d'une dizaine de milliers de dollars à son retour [d'un séjour dans le Grand Nord québécois], il entreprend de produire lui-même ce deuxième opus. Seulement voilà, quelque 4000 $ manquent toujours à l'appel. Qu'à cela ne tienne, Desjardins le débrouillard parvient à sensibiliser pas moins de 400 personnes à sa cause, lesquelles consentent toutes à "investir" 10 $ afin de mener à bien le projet. En contrepartie, il leur promet qu'elles auront chacune droit à un exemplaire de l'album, sitôt qu'il les aura en mains. » Pour l'album suivant, Tu m'aimes-tu, l'auteur-compositeur-interprète refait appel à ses admirateurs pour le produire : 1000 personnes répondent à l'appel.

GRÉGOIRE

À deux reprises, le chanteur français Grégoire a créé une campagne de sociofinancement. D'abord, pour son premier album Toi + Moi, qui s'est écoulé à plus de 1 million d'exemplaires. Pour son second opus, Grégoire a de nouveau présenté un projet sur la plateforme française My Major Company. Le 10 novembre 2010, il remerciait les 1893 donateurs qui lui ont permis d'amasser 150 000 euros pour produire Le même soleil.

DE LA SOUL

Le groupe hip-hop américain De La Soul a mis son album and the Anonymous Nobody en prévente sur la plateforme Kickstarter en 2015. Pour décrire son projet, la formation de Long Island a écrit : « Dans la dernière décennie, nous sommes devenus des artistes indépendants, sans label qui intervient dans notre processus créatif. » Ils ont amassé 600 874 $ pour ce projet de sociofinancement. Sur le site de la plateforme, la formation a écrit : « Kickstarter fait partie des plateformes qui offrent un espace de travail ouvert à ceux qui vous connaissent, qui aiment votre travail et qui vous soutiennent. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Rufus Wainwright