À 43 ans, la Montréalaise Nicole Lizée suscite déjà un intérêt considérable dans le milieu de la musique dite sérieuse. L'Orchestre du Centre national des arts a créé certaines de ses oeuvres récentes, et l'Orchestre symphonique de Toronto en interprétera deux le 11 mars, dans le cadre de Canada 150. Portrait d'une compositrice qui a su extirper de son époque des images et des sons pour le moins signifiants.

L'intelligence et la sensibilité supérieures de cette musicienne de 43 ans tiennent à sa capacité de transformer le fouillis de la vie en musiques extraordinaires. Son cottage de Lachine est jonché de vinyles, CD, DVD, livres, guitares, platines, piano, claviers analogiques, bidules numériques, ordinateurs, partitions éparses... splendide bric-à-brac !

Ses oeuvres visionnaires puisent dans le maelström audiovisuel de notre époque, ses musiques illustrent une tension remarquable entre cultures populaires et savantes, apparemment désassorties : rock métal, easy listening, pop britannique, électro, djisme, musiques classiques et contemporaines, bruitisme, jazz actuel, traitement intégré du cinéma...

Compositrice hors piste, Nicole Lizée a vécu une enfance et une adolescence tout à fait propices à l'indépendance d'esprit et la liberté créatrice.

« Ma culture a pris source dans le commerce de mon père à Gravelbourg, en Saskatchewan, explique-t-elle. Encore aujourd'hui, il vend et répare des appareils électroniques, en plus de collectionner une foule de trucs. »

« J'ai grandi dans cet environnement merveilleux où à peu près rien n'était jeté. Encore aujourd'hui, mon père a son Electronic Studio où je souhaite un jour me produire », dit Nicole Lizée.

Force est de déduire qu'elle percevait jadis l'entreprise paternelle et le domicile familial non pas comme un capharnaüm, mais plutôt comme un éden fantasmagorique, un vivier de création.

« Je pouvais y trouver des magnétophones à bandes, des magnétoscopes, des projecteurs, des lecteurs de cassettes vidéo. Je pouvais y visionner des films, écouter des albums à profusion, j'en usais certains jusqu'à la corde. Et lorsque les cassettes audio ou vidéo perdaient de leur vitesse originelle, le résultat au ralenti m'intéressait tout autant. J'aimais ce son du dysfonctionnement. »

Très jeune, donc, elle laissait libre cours à son imagination. « J'avais appris à utiliser ce que j'avais à portée de main. J'ai enregistré mes premières compositions avec un boombox et les instruments et bidules que j'avais à portée de main. Ces enregistrements étaient fous ! J'en suis encore fière et je pourrais les rendre publics un jour. »

ÉDUCATION MUSICALE

Après avoir pianoté et bidouillé seule, Nicole Lizée a pris des leçons de piano puis s'est mise à la guitare rock en visionnant MTV et en admirant plusieurs éminents « shredders » des années 80 - Eddie Van Halen, Yngwie Malmsteen, Joe Satriani, Steve Vai...

Au milieu des années 90, Nicky Lizée (d'origine francophone, elle a grandi dans un contexte clairement anglo) a quitté sa Saskatchewan natale pour le Québec, afin d'y mener des études supérieures à l'Université McGill, où elle a obtenu une maîtrise en composition.

« J'ai alors découvert la musique contemporaine. Shit ! What is that ?! Le jazz ? Un peu moins... J'ai tout de même apprécié le style à travers les pièces plus jazzy de Frank Zappa et de John Zorn, aussi chez Miles Davis (période Bitches Brew) ou encore chez Keith Jarrett. »

Au terme d'un second cycle universitaire, elle a refusé de poursuivre vers le doctorat...

« Je voulais faire de la musique ! Aussitôt sortie de l'université, je me suis mise à la création intense. J'ai beaucoup composé, j'ai participé à différents projets et groupes comme The Besnard Lakes, au sein duquel j'ai joué des claviers pendant un moment », confie Nicole Lizée.

Sa carrière de compositrice et de leader d'orchestre a décollé il y a plus ou moins une décennie, les engagements et commandes d'oeuvres pour différents ensembles se sont multipliés plus récemment.

Le travail de Nicole Lizée fascine désormais le milieu de la musique dite « sérieuse », non seulement pour le brassage singulier de ses référents musicaux, mais encore pour la relation que sa musique entretient avec le cinéma : les classiques d'Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick, David Lynch et autres Quentin Tarantino contribuent à étoffer une esthétique à la fois spectaculaire et d'une grande profondeur conceptuelle.

Inspirée par la culture du remix et du mashup, elle greffe à ses oeuvres musicales des fragments de films qu'elle annote, numérise, transforme et intègre à ses partitions exécutées en temps réel par les interprètes - à commencer par son ensemble SaskPwr, noyau de musiciens qu'elle associe régulièrement à d'autres selon les besoins de l'oeuvre - le batteur Ben Reimer, le guitariste Steve Raegele et elle-même aux claviers, manipulations électroniques et traitements cinématographiques.

« J'ai commencé à faire ça il y a une dizaine d'années, mais j'avais cette démarche en tête depuis toujours. C'est le même esprit que mes toutes premières créations dans la boutique de mon papa. »

L'ACTUALITÉ DE NICOLE LIZÉE

Zeiss After Dark, commandée par l'Orchestre symphonique de Toronto et Canada 150, a été jouée en février dernier par l'Orchestre du Centre national des arts (CNA) à Ottawa et à Toronto.

Black MIDI sera créée le 11 mars par l'Orchestre symphonique de Toronto et le Kronos Quartet. Il s'agit d'une commande du TSO et du Kronos Quartet (avec l'aide du Conseil des arts du Canada), dans le cadre de Canada 150.

Keep Driving, I'm Dreaming, musique pour ballet, sera créée en avril prochain dans le cadre du projet Rencontr3s du CNA, où l'artiste a été jumelée à la chorégraphe Emily Molnar.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Les oeuvres de la compositrice Nicole Lizée puisent dans le maelström audiovisuel de notre époque. « J'ai grandi dans cet environnement merveilleux où à peu près rien n'était jeté », relate la musicienne originaire de la Saskatchewan.