Qu'ont en commun le quintette Tame Impala, porte-drapeau du rock psychédélique australien, et les Français d'Aquaserge, électrons libres de la pop sophistiquée? La réponse se trouve derrière les caisses et les cymbales, en la personne du batteur et baroudeur Julien Barbagallo. Avec l'album Grand chien, le plus anglo-saxon des chanteurs francos accroche temporairement ses baguettes pour entretenir sa carrière solo.

La majorité du disque a été écrite, composée et enregistrée dans sa maison de Melbourne, entre deux jeux de batterie avec les plus célèbres musiciens d'Oz du présent millénaire. Des bribes de textes et de mélodies se sont additionnées sur la route, aux quatre coins du monde. «En tournée [avec Tame Impala], il y avait pas mal de temps libre, alors j'en ai profité pour travailler sur mon album, explique le chanteur, joint au téléphone à Saint-Jean-de-Védas, dans son Occitanie natale. Je l'ai fait sans pression, sur le long terme, de la même manière que mon premier album.»

Le premier effort en français de Barbagallo, le confidentiel Amor de Lohn, n'avait jamais traversé l'Atlantique, malgré des critiques élogieuses et une réédition dans l'Hexagone. Cette fois, la maison de disques Arista, filiale de Sony France, a sorti le grand jeu, et s'est alliée à Audiogram pour faire connaître le chanteur et multi-instrumentiste au Québec. Vivement.

Barbagallo prouve avec Grand chien - traduction littérale du sobriquet «Big Dog» - qu'il est possible de se réclamer de la chanson française sans sacrifier son engagement dans l'exploration sonore. Une leçon de 40 minutes pour nombre de chanteurs à texte qui misent tout sur la prose jusqu'à en oublier... la musique. «Pour moi, les deux commandent le même niveau d'exigence, dit le chanteur originaire d'Albi, jolie ville rose du Tarn. Je crois qu'il est possible de proposer à la fois de chouettes mélodies et des textes qui ont une valeur littéraire.»

Sans contraintes

Éloigné physiquement de la scène parisienne, le musicien a pu se libérer des contraintes. Ses influences et sa participation dans Tame Impala et Aquaserge irradient sur des sonorités psychédéliques, pop synthétiques ou résolument folk. «Pour moi, de créer en Australie, ç'a été un vrai déclic. D'être aussi loin de tout réseau franco-français m'a permis de libérer ma plume et ma musique. Je n'avais plus de complexe ou de barrière.»

Le compositeur, derrière toutes les étapes de Grand chien sauf le mixage, tient donc en équilibre entre la démesure du rock anglo-saxon - «90% de mon bagage musical» - et les codes sacrés de la chanson française. Et c'est sans doute parce qu'il les maîtrise si bien qu'il sait s'en moquer avec aisance.

«En général, je trouve qu'on prend les auditeurs pour des imbéciles, comme s'ils ne pouvaient pas recevoir des choses exigeantes. On a tendance à niveler par le bas.»

Son écriture est brumeuse, taraudée de points d'ombre, d'interrogation, de suspension... Dix chansons comme autant d'énigmes qui nous emportent au pied du volcan sicilien Mungibeddu ou dans le Sidobre, «île de granite» occitane. Mais «pourquoi courir le monde?», demande-t-il incessamment sur la magnifique Le dernier pays. «L'idée est d'amener à réfléchir, de semer la confusion et faire tourner un peu le cerveau», confirme Barbagallo, qui évoque le chanteur breton Bertrand Belin, capable de «poser des atmosphères qui, sans donner à tout comprendre, font qu'on s'y sent bien».

Si le batteur nomade a déjà flirté avec l'anglais dans son projet solo LeCube, c'est maintenant pour toujours qu'il entend embrasser la langue de Laurent Voulzy et d'Alain Souchon. «Étant donné ma culture musicale anglo-saxonne, c'était naturel pour moi au départ de chanter en anglais. Ça m'a pris du temps pour comprendre que ce n'était pas nécessaire. Et surtout, de constater que c'était de chanter dans ma langue maternelle qui était naturel.»

D'ici la prochaine tournée mondiale de Tame Impala ou la résurgence d'Aquaserge sur scène, Julien Barbagallo défend une proposition authentique, nécessaire. Genre de coup de poing à la gueule de la pop française. Un batteur, oui. Un battant, aussi...

PHOTO ROBERT ALTMAN, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Julien Barbagallo (à droite) est le batteur du groupe psychédélique australien Tame Impala.

En concert mercredi en première partie de Peter Peter

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Grand chien, de Barbagallo