Il y avait Emma, la femme-enfant aux lulus blondes. Mel C la sportive qui poussait les notes les plus aiguës. La distinguée Victoria aux tenues griffées. La fougueuse Mel B, qui semblait aimer mieux rugir que sourire aux caméras. Et la pulpeuse Geri, aux lèvres du même rouge que celui de l'Union Jack.

Cinq jeunes Britanniques aux personnalités distinctes soulignées à gros traits. Cinq épices rebaptisées par la presse Baby, Sporty, Posh, Scary et Ginger. Une recette gagnante pour marquer l'histoire de la musique pop.

La déferlante survient en 1996 avec la sortie du premier extrait des filles épicées, Wannabe, qui jette les bases de la philosophie du girl power martelée par le groupe: la solidarité féminine et l'émancipation des femmes dans leurs relations amoureuses.

«Ç'a été la folie, raconte Geneviève Borne, VJ sur les ondes de MusiquePlus à l'époque. Les petites filles apprenaient les chorégraphies, s'habillaient comme elles. Ç'a été un hit total, et c'était la première fois que c'était avec un girl band

«C'est sûr qu'il y avait déjà eu des groupes uniquement formés de filles, comme les Go-Go's ou les Bangles, mais c'était des musiciennes, poursuit l'animatrice. Les Spice Girls ne jouent pas d'instruments, elles sont là pour chanter et danser.»

Pop royale

La première moitié des années 90, rappelle Geneviève Borne, est marquée par le grunge et son mal de vivre. Le rock reprend du poil de la bête. Les cassettes de Nirvana, Pearl Jam et Metallica tournent en boucle dans les baladeurs. Au rayon des quintettes britanniques, le coeur de l'animatrice est déjà pris par Radiohead.

Du côté de la pop, les New Kids on the Block ont déjà sévi à la fin des années 80, suivis par les Backstreet Boys. Mais les Spice Girls prennent d'assaut les palmarès mondiaux avec une pop survitaminée. Et ce, en affichant une joyeuse irrévérence - Geri marquera les esprits en tapotant le fessier du prince Charles, faisant fait fi du protocole le plus élémentaire...

La rouquine se contentera d'ébouriffer les cheveux du journaliste sportif de La Presse Richard Labbé pendant une entrevue mémorable en 1997. Celui qui était à l'époque reporter aux arts garde le souvenir d'une rencontre «assez chaotique» dans une luxueuse suite d'un hôtel du Vieux-Montréal. «Elles jouaient beaucoup la carte de la spontanéité et du girl power, se rappelle-t-il, mais j'avais vraiment l'impression qu'elles suivaient un script.»

«Il y avait en même temps une espèce d'innocence. Elles étaient super jeunes à ce moment-là, et ne savaient pas trop comment composer avec [le succès].»

Un an et demi plus tard, elles ne sont plus que quatre pour leur premier spectacle à Montréal. Geri a déjà claqué la porte. Envoyé au Centre Molson pour couvrir le concert, Richard Labbé en fera une critique très favorable.

«C'était difficile de ne pas embarquer, tellement c'était contagieux comme enthousiasme», affirme-t-il, précisant au passage qu'il est tout de même plutôt du genre rock...

Fulgurant, le succès des Spice Girls est aussi de courte durée. En 2000, lorsqu'elles reçoivent le Lifetime Achievement Award à la cérémonie des Brit Awards - un prix remis par le passé à Elton John et à David Bowie -, elles n'ont que deux albums à leur actif, et même pas 30 ans.

Chacune tentera l'expérience en solo, mais sans jamais atteindre les sommets du groupe. «C'est comme l'expression "le tout est plus grand que la somme des parties", illustre Geneviève Borne. C'est vraiment quand elles sont ensemble qu'il y a quelque chose de magique qui se passe.»

Et sans Ginger Spice dans le mélange, il manque une saveur.

Photo fournie par MusiquePlus

Geneviève Borne a interviewé Geri Halliwell lors d'une émission spéciale de 90 minutes devant public à MusiquePlus. «C'était en 1999, à l'occasion de la parution de son premier album solo, Schizophonic. On avait bien rigolé, elle était très charmante avec ses fans et moi.»

Vrai ou faux

Groupe chéri par la génération Y, les Spice Girls resteront pour beaucoup de non-convertis un groupe usiné de toutes pièces. La faute en partie aux personnages stéréotypés incarnés par les chanteuses.

«Une excellente création marketing», souligne Geneviève Borne, qui permettait à chaque petite fille de s'identifier à l'une d'elles... mais aussi de commercialiser une ribambelle de produits dérivés.

Or, si ce procédé de personnification était amplifié chez les Spice Girls, il n'était pas nouveau, rappelle Hélène Laurin, chercheuse en musique populaire. «Les Beatles ont été parmi les premiers à se faire caractériser de cette façon. Rapidement, les équipes de gestion ont trouvé que c'était une bonne manière de présenter tous les bands, et pas juste en pop», précise-t-elle en énumérant Mötley Crüe, Kiss et Iron Maiden.

La manière dont le groupe a été fondé a aussi nui à sa crédibilité artistique. «Parce que les Spice Girls ont été formées de jeunes aspirantes qui ont répondu à une annonce, elles ont immédiatement été étiquetées comme une fabrication inauthentique de l'industrie», a écrit en 2001 la musicologue Elizabeth Eva Leach. Une étiquette dont les Spice Girls ont tenté de se défaire, selon la spécialiste, en insistant sur leur rôle dans l'écriture des chansons et leur côté «filles ordinaires».

À ce sujet, Hélène Laurin, également productrice de contenu numérique pour les journaux de Québecor, fait remarquer que le coup de la petite annonce providentielle n'a pas empêché les Monkees, «considérés comme la réponse de l'Amérique aux Beatles», de bénéficier d'un «statut de groupe-culte».

Pourquoi l'a-t-on alors reproché aux Spice Girls? «Quand tu réponds à une petite annonce, il y a une volonté de t'extirper de ton sort et d'être plus grande que toi, avance la chercheuse. [...] Et je pense que pour les femmes, c'est encore mal vu d'exhiber un tel désir d'être connue, alors que pour un homme, ça va plus de soi. On le voit avec Hillary Clinton.»

Groupe préfabriqué ou pas, il reste que les filles sont devenues de véritables amies, insiste Hélène Laurin, contrairement à certaines légendes du rock encore actives (les Rolling Stones, pour ne pas les nommer: «La biographie de Keith Richards est très claire là-dessus!»).

Vingt ans après avoir conquis le monde avec Wannabe, les anciennes Spice Girls sont encore régulièrement aperçues bras dessus, bras dessous, même si les rumeurs de réunion tardent à se concrétiser. «Il y a un sort qui a été déjoué à travers leur franche camaraderie», conclut la chercheuse.

Après tout, friendship never ends...

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113 millions: Nombre d'écoutes de la chanson Wannabe sur Spotify

63 %: Proportion de femmes parmi les auditeurs des Spice Girls sur Spotify

2,3 secondes: Temps moyen requis par les participants à une étude britannique de 2014 pour identifier la chanson Wannabe. Il s'agit du temps le plus court sur plus de 1000 chansons testées, ce qui a fait dire aux chercheurs que Wannabe est la chanson la plus reconnaissable au pays.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Hélène Laurin, chercheuse en musique populaire et auteure du livre Les filles aussi jouent de l'air guitar