Il y a 25 ans, les groupes Nirvana et Pearl Jam lançaient respectivement les albums Nevermind et Ten. Le mouvement grunge était né. Musique, mode, cinéma: les années 90 ont pataugé dans cet univers de révolte. À la veille du passage de Pearl Jam au Centre Vidéotron jeudi prochain, retour sur ces groupes étendards du grunge.

PEARL JAM À VERDUN: TRÈS CHAUD!

L'auteure et dramaturge Fanny Britt a 15 ans. Avec son amie Kara, elle fait la file devant le Spectrum tard le soir, dans l'espoir de mettre la main sur les billets en vente le lendemain matin.

«On avait nos sleeping bags. Il y avait une espèce d'euphorie dans la file. Moi, je n'étais pas une couche-tard, j'ai failli faire une crise de panique dans les toilettes du Dunkin Donuts», raconte-t-elle. Une anecdote reprise dans son roman Les maisons.

Les deux adolescentes parviennent à mettre la main sur les précieux billets, qui se sont envolés à la vitesse de la lumière. Quelques mois plus tard, le jour du concert arrive. Fanny et sa gang débarquent devant l'Auditorium de Verdun aux aurores. Une douzaine d'heures sous un soleil de plomb plus tard, elles pénètrent dans l'Auditorium, qui a des airs de sauna.

«J'avais une jupe fleurie et de grosses bottes de surplus d'armée. Je pouvais tordre ma robe. Je n'avais jamais eu chaud de même de toute ma vie», raconte Fanny Britt.

Bedaines suintaines

Martin Robert et une douzaine de ses chums ont eux aussi «vécu Verdun». Le jour du concert, la gang de Saint-Eustache s'est pointée bien tôt à Verdun, improvisant une sorte de tail gate party à la sauce grunge.

Une fois dans l'amphithéâtre, le groupe déniche un coin dans les gradins pour décompresser entre les allers-retours sur le parterre survolté. «Je n'avais jamais eu chaud comme ça. Le souvenir que j'ai: des bedaines suintantes qui se frottent», raconte Martin, aujourd'hui agent de bord à l'aube de ses 40 ans. «J'ai toujours dit que c'était le meilleur show, mais, tout compte fait, je me souviens surtout de l'ambiance.»

Contenu et intégrité

Jeune VJ à MusiquePlus au début des années 90, Geneviève Borne se souvient très bien de l'arrivée du grunge. «À travers des groupes comme Nirvana et Pearl Jam, le grunge a amené une musique qui faisait office de complainte sur des drames personnels ou des chansons engagées sur des considérations sociales, comme l'a toujours fait l'idole de ces groupes, Neil Young», explique l'animatrice, qui a assisté au concert de Verdun pour le plaisir et pour le travail.

Elle repense avec nostalgie aux chemises à carreaux nouées autour de la taille et aux bottes de construction, un style vestimentaire hérité des ouvriers de l'industrie forestière de la côte ouest américaine. Une bouffée de fraîcheur après le spandex et les permanentes.

Aujourd'hui, Pearl Jam est le seul groupe grunge qui continue de remplir des arénas, loin des scandales et des surdoses mortelles. Pourquoi? «Tout simplement parce que c'est un excellent groupe rock», résume Geneviève Borne.

Mais évidemment, les fans ne doivent pas s'attendre à revivre les émotions du concert de Verdun jeudi à Québec. «La vie est en mouvement: tu ne peux plus recréer certaines choses. Le charisme d'Eddie [Vedder] est toujours là, mais pas sûre qu'il va se jeter dans la foule.»

NIRVANA AUX FOUFS: FINALE CHAOTIQUE!

Dix dollars. C'est la somme qu'il fallait payer pour voir Nirvana grimper sur les planches des Foufounes électriques le 21 septembre 1991. Environ 300 personnes ont répondu à l'appel de ce groupe encore assez underground, issu du Sub Pop de Seattle.

La mezzanine n'était même pas ouverte ce soir-là. Le groupe a joué plusieurs titres de l'album Nevermind, qui allait sortir trois jours après son passage à Montréal.

«Il y avait déjà beaucoup d'hystérie autour du groupe. Kurt avait déjà des crises d'angoisse et d'importantes crampes. Il était toujours assis dans un coin», se souvient Dan Webster, producteur, qui venait alors d'attirer Nirvana aux Foufounes électriques pour la deuxième fois.

On aperçoit d'ailleurs sa signature au bas du chèque de 349 $ fait au nom du bassiste Chris Novoselic (qui a ajouté un K à son prénom par la suite) pour une «performance de Nirvana», qui s'est déroulée devant 50 personnes l'année précédente.

«Le groupe était alors très terre à terre, facile à gérer. C'était plus compliqué la deuxième fois.»

Avant la bombe

Sylvain Houde était DJ et responsable de la promotion aux Foufs lors du passage de Nirvana en 1991. Il avait 30 ans et était employé du bar depuis sept ans.

«Un petit following commençait autour de Nirvana, mais personne dans la salle n'avait conscience d'être en train de vivre un moment. La bombe annoncée n'avait pas explosé encore», illustre M. Houde, aujourd'hui chef recherchiste à l'émission Médium large, diffusée à Radio-Canada.

Si la prestation de Nirvana en tant que telle ne l'a pas marqué, la finale chaotique du concert restera à jamais gravée dans sa mémoire. Sylvain Houde se trouvait dans le DJ booth sur la mezzanine lorsque Kurt Cobain a fait irruption à côté de lui.

«[Kurt Cobain] a enjambé la fenêtre du booth pour se suspendre à la passerelle où il y a l'éclairage au-dessus de la scène et se laisser tomber sur Dave Grohl [le batteur].»

La batterie a été démolie dans la chute de Cobain et le batteur est tombé à la renverse pour se cogner la tête contre un mur de briques. «Ça montre un peu la personnalité de Kurt Cobain, qui avait clairement prémédité son geste», juge Sylvain Houde.

Nirvana a joué une troisième fois à Montréal, en novembre 1993 à l'Auditorium de Verdun, dans le cadre de la tournée In Utero. Le groupe était alors dans les ligues majeures. Tout à fait par hasard, un autre groupe prometteur se produisait le même soir devant une poignée de personnes au Woodstock, un petit bar du boulevard Saint-Laurent. Son nom: Radiohead. Le groupe jouait pour la première fois en concert la chanson Street Spirit (Fade Out). Un autre concert mythique, mais qui n'était pas grunge cette fois. Une autre histoire, quoi.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Sylvain Houde était DJ et responsable de la promotion aux Foufs lors du passage de Nirvana en 1991. Il avait 30 ans et était employé du bar depuis sept ans.

NÉS EN 1991

Nous avons demandé à deux jeunes nés en 1991 d'écouter les albums cultes Ten (de Pearl Jam) et Nevermind (de Nirvana), parus l'année de leur naissance, et de nous donner leur impression. Coup de vieux garanti.

Laurence Ouimet-Vives

«Pearl Jam? J'avais déjà entendu le nom, mais jamais écouté ça. Faut s'habituer à la voix du chanteur.» Laurence Ouimet-Vives l'ignore, mais ses phrases rentrent comme un coup de poignard en plein coeur du fan fini de Pearl Jam en train d'écrire ces lignes. «J'écoutais l'album [Ten] en travaillant hier. Je peux comprendre que c'était bon avant. J'en ai parlé à ma boss [âgée de 34 ans] et elle m'a dit qu'elle écoutait ça.»

La jeune femme a préféré l'album de Nirvana, qu'elle écoutait au secondaire. «Kurt Cobain est une icône, pour sa musique mais aussi pour son style vestimentaire. Pearl Jam, je n'ai même pas idée à quoi ressemblent les membres du groupe», résume Laurence.

Elle ajoute que la musique d'aujourd'hui semble plus indépendante, diversifiée et non réunie autour d'un mouvement fédérateur comme le grunge. Sa chanson favorite de Nirvana? «Il y en a plusieurs. Celle qui dit "I'm so ugly" [la chanson Lithium] notamment.»

Oui, on déteste cette fille.

Éric St-Pierre avait déjà entendu les albums Ten et Nevermind avant notre coup de fil. Les deux se trouvent d'ailleurs dans son iPod. «J'ai découvert ça un peu sur le tard, au début de ma vingtaine, grâce à un ami maniaque de musique et à la station de radio CHOM», raconte le jeune homme.

Selon lui, un album comme Nevermind interpelle encore sa génération, en exprimant un ras-le-bol généralisé et certaines idées partagées par une jeunesse se sentant parfois désabusée.

«Musicalement, ça a bien vieilli. Je n'ai pas de chanson favorite, l'enchaînement est juste parfait», explique Éric.

Sur Ten, il considère la pièce Even Flow comme un incontournable et admet écouter l'album pour relaxer. «Mon père pourrait trouver son compte dans Ten mais pas dans Nevermind», résume-t-il. Ouch.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Laurence Ouimet-Vives

Dix albums grunge marquants choisis par Hugo Meunier

1) Nirvana, Nevermind, 1991

2) Pearl Jam, Ten, 1991

3) Alice in Chains, Dirt, 1992

4) Temple of the Dog, Temple of the Dog, 1991

5) Soundgarden, Superrunknown, 1994

6) Stone Temple Pilots, Purple, 1994

7) The Crow, bande sonore, 1994

8) Mudhoney, Superfuzz, 1988

9) Mother Love Bone, Shine, 1989

10) Pixies, Surfer Rosa, 1988

Alice in Chains, Dirt, 1992