Lorsque les Rolling Stones feront sonner leurs premières notes à La Havane vendredi, des murs de baffles cracheront leurs décibels vers des centaines de milliers de fans. Dans les années 1980, Ricardo Gutierrez, lui, devait se cacher pour écouter du rock.

«Vous deviez aller dans une pièce et fermer la porte. Et régler le volume vraiment très bas», se remémore M. Gutierrez, ancien militaire de 48 ans qui gagne désormais sa vie comme chauffeur de taxi à La Havane. «Personne ne devait vous entendre.»

Le concert géant des Rolling Stones, qui survient trois jours après une visite historique de Barack Obama, n'est pas qu'une affaire de musique à Cuba. Pour certains, l'évènement est même plus important que la venue du président américain.

Dans les décennies 1960, 1970 et une bonne partie des années 1980, les autorités communistes ont véritablement banni de l'île cette musique considérée comme un «instrument subversif yankee».

Aujourd'hui, même si ces restrictions ont disparu, Cuba accuse un retard conséquent en termes de culture rock et beaucoup voient dans ce concert l'opportunité d'une mise à jour libératrice.

«Un concert des Rolling Stones à La Havane? C'est un rêve!», confie Eddie Escobar, fondateur du Sous-marin Jaune, un des rares bars de la capitale cubaine où se produisent des groupes rock.

«La musique rock, j'espère, ouvrira tout le reste - la politique, l'économie, internet. On a 20 ans de retard sur absolument tout», s'exclame cet homme de 45 ans arborant boucle d'oreille et queue de cheval.

Être rockeur à Cuba

Pour ce concert exceptionnel, les Rolling Stones ne feront pas payer le public, leurs tarifs habituels ne correspondant pas vraiment aux standards cubains.

Car l'évènement est rarissime dans une île où seuls quelques groupes américains ont pu se produire ces dernières années.

Auparavant idéologiques, les barrières concernent désormais des questions financières et logistiques, ainsi que les restrictions de l'embargo américain, qui reste en place malgré le rapprochement engagé fin 2014 avec les États-Unis.

Les organisateurs ont indiqué au magazine spécialisé Billboard que 61 conteneurs avaient dû être acheminés par la production, qui a également dépêché à La Havane une équipe de 350 personnes. Une obligation dans une île qui manque de tout.

«Il est très difficile de trouver du matériel», confie David Yabor, 33 ans, chanteur du groupe Aire Libre programmé cette semaine au Sous-marin jaune.

«Nous n'avons pas de magasins où nous pouvons acheter des amplis pour basse ou guitare, ni des micros de bonne qualité», explique-t-il. Même le fait de se procurer de la musique rock relève de la gageure à Cuba.

Impossible d'acheter en ligne du fait de l'embargo et d'un accès limité à internet, tandis que les boutiques d'État ne vendent que les productions du distributeur local Egrem.

Les amateurs n'ont donc d'autre recours que de faire leurs emplettes dans les magasins de CD piratés qui fleurissent à La Havane, comme la boutique Calle L, où l'on peut faire graver le disque de son choix pour l'équivalent d'un dollar.

Plusieurs générations

Si le concert des Rolling Stones est régulièrement évoqué par les médias d'État, aucune affiche n'est visible dans ce pays ou toute publicité est proscrite.

Pas d'inquiétude toutefois, tout le monde est au courant, à commencer par les fans de la première heure tels qu'Eduardo Gonzalez, 51 ans, qui se rappelle des brusques montées d'adrénaline qui le saisissaient autrefois lorsqu'il échangeait disques vinyles et cassettes avec ses amis.

Du côté des plus jeunes, les «papys du rock» britanniques ne suscitent pas un grand enthousiasme, mais cela ne les empêchera pas de participer à cette grande fête.

«C'est la génération de nos parents», confirme l'étudiant en médecine de 22 ans Jose Antonio Gonzalez, qui préfère Adele et le groupe de hip-hop C.I.A. «Mais j'irai, c'est sûr! Les cubains adorent la musique et faire la fête!»

Fan de rock, M. Gutierrez, lui ne se rendra pas au concert. Pour lui, la du fièvre rock and roll est passée.

«Ils nous offrent les vieux Rolling Stones aujourd'hui, mais lorsqu'ils étaient vraiment les Rolling Stones on nous les interdisait. On a raté le train».