Quand, en mars 1999, son médecin lui a appris qu'il devrait être opéré le jour même pour une masse cancéreuse à la gorge, René Angélil lui a demandé quelles étaient ses chances: 70 %, lui a dit le docteur Robert Steckler. «René a réfléchi un moment. Il a eu un faible sourire. Il a pensé que 70 % des chances de réussir au black jack, ce n'était pas à négliger, au contraire, c'était très bon, très bien.»

L'anecdote racontée dans Le maître du jeu, la biographie que lui a consacrée Georges-Hébert Germain, est caractéristique de l'homme qui aimait bien rappeler qu'après avoir coupé le cordon ombilical de son fils René-Charles, il lui a aussitôt donné sa première leçon de black jack.

La passion du jeu habitait Angélil bien avant qu'il n'élise résidence à Las Vegas dans les années 2000. Il n'allait même pas à l'école qu'il jouait aux cartes en famille.

«J'ai été élevé comme ça. Oui, je suis un gambler, oui, c'est une maladie, oui, j'ai été chanceux et oui, il faut que je fasse attention aujourd'hui. À Las Vegas, 95 % des gamblers ne sont pas chanceux.» - René Angélil lors d'une entrevue en 2009

Le jeu a été au coeur de ses succès et de ses échecs. En 1974, Guy Cloutier et lui exigent 1 million de la maison de disques CBS pour leur protégé René Simard. C'est non. Angélil n'oubliera jamais cette leçon de vie. «On a eu une chance inouïe avec une grosse compagnie de disques qui croyait en notre artiste et qui était prête à investir, mais on a voulu faire nos smattes», confessait-il 35 ans plus tard.

Pour le premier contrat d'enregistrement de Céline Dion avec CBS, en 1986, il ne demandera pas la lune, mais il mettra le pied dans la porte d'une carrière internationale sans précédent, puis s'emploiera à provoquer les occasions pour permettre à sa chanteuse d'accéder au sommet. Une fois qu'elle sera établie, il fera pour elle des deals faramineux. «Il faut juste jouer ses cartes comme il faut», nous disait-il.

Très superstitieux, Angélil croyait dur comme fer que la vie, comme le black jack, est affaire de séquence: quand ça va mal, il ne faut pas s'énerver et attendre l'occasion qui va sûrement se présenter, la reconnaître et la saisir. «Après, tout va être correct», répétait-il constamment à son entourage.

Quand, en 1979, la chanteuse Ginette Reno, dans laquelle il avait tout investi, l'a viré pour confier sa carrière à son amant du moment, quand il a fait une crise cardiaque à 50 ans, quand, sept ans plus tard, il a appris qu'il avait un cancer de la gorge, Angélil a eu peur, mais il ne s'est pas laissé abattre. «C'est le monde autour de moi qui était découragé, pas moi», me disait-il le plus sérieusement du monde.

Un plan

Les gros coups qu'a réussis Angélil pour Céline Dion, et qui en ont fait un imprésario admiré à l'échelle de la planète, n'étaient pas qu'une question de chance. Il avait un objectif et un plan pour l'atteindre et il ne se laissait jamais décourager par le scepticisme, sinon les rebuffades de ses partenaires.

James Cameron, le réalisateur de Titanic, ne voulait pas de chanson dans son film. Pis encore, Céline Dion a détesté My Heart Will Go On la première fois que le compositeur James Horner la lui a jouée au piano. Angélil a tenu son bout et il a même insisté pour qu'elle soit la locomotive du prochain album de Céline, ce que Sony ne voyait pas d'un bon oeil. Finalement, l'album Let's Talk About Love s'est vendu à plus de 30 millions d'exemplaires, My Heart Will Go On a gagné un Oscar et elle est devenue la chanson que Céline Dion chante systématiquement en rappel depuis.

Son pari le plus fou, c'est à Las Vegas que René Angélil l'a gagné haut la main. En négociant simultanément avec le Caesars Palace, MGM et Aladdin - devenu depuis le Planet Hollywood - pour le spectacle permanent A New Day, il a décroché le gros lot.

Il a convaincu le Caesars Palace de lui construire un Colosseum au coût d'environ 100 millions pour lequel non seulement il n'a jamais payé de loyer, mais il a pu percevoir le loyer de son autre locataire, Sir Elton John.

«On a encaissé tous les revenus : bouffe et boisson, commandites, merchandising, ils nous ont cédé la bâtisse, nous racontait en 2010 John Meglen d'AEG, coproducteur du spectacle avec Angélil. On disait à la blague que pendant ces cinq années, le Caesars Palace et Harrah's - qui a acheté le Caesars Palace en 2005 - n'avaient même pas la clé du Colosseum. Tout le monde dans la bâtisse était de AEG ou de CDA [l'entreprise d'Angélil et Dion].»

Le Caesars a même fait construire à ses frais la maison de Lake Las Vegas que l'Aladdin avait proposée à Angélil. Surtout, ce spectacle qu'à peu près personne ne croyait rentable a marqué l'histoire de la capitale du jeu américaine. Meglen renchérit: «René est le meilleur promoteur que j'ai jamais rencontré. Et j'ai travaillé avec le colonel Parker, le mentor de René.»

En plus d'être un négociateur hors pair, Angélil avait du flair. En 2000, Céline Dion a signé avec Sony le plus riche contrat de l'histoire du disque. Or, le marché du disque s'est écroulé tout de suite après et les alliés à la direction de Sony ont levé les pattes. «Quand Napster [NDLR: le site web d'échange de fichiers] est arrivé, j'ai senti que tout changerait et que le monde du spectacle en souffrirait, se rappelait Angélil. Pour Las Vegas, j'étais convaincu que c'était la décision à prendre à ce moment-là: il fallait que Céline s'y installe. Et, artistiquement, Céline était contente.»