Venu chanter sur une télévision britannique en 1972, la toute nouvelle star du rock qu'était à l'époque David Bowie avait enlacé le guitariste Mick Ronson. Un geste empreint de sensualité qui allait faire de lui une icône des minorités sexuelles, sans qu'il n'en soit un porte-drapeau.

Car ce n'était pas une démonstration de camaraderie masculine. Bowie, alors cheveux colorés en orange et vêtu d'une tenue en Lycra multicolore, avait déjà révélé son homosexualité.

Il avait ensuite précisé être bisexuel. Avant d'opter pour la catégorie «autre», comme dans les questionnaires lorsqu'aucune proposition ne convient.

Le refus du chanteur britannique, décédé dimanche d'un cancer, de mener une vie cantonnée dans des cases prédéfinies a inspiré des générations de minorités sexuelles (LGBTQ - lesbienne, gai, bi, trans et en questionnement).

Bowie est parvenu à créer une nouvelle identité parce que son personnage était, littéralement, d'une autre planète. Fasciné par l'espace, il a créé son alter ego Ziggy Stardust, star androgyne du rock extraterrestre.

C'est d'ailleurs en Ziggy qu'il a interprété Starman dans l'incontournable émission musicale britannique Top of the Pops en 1972.

Son décès a rappelé à de nombreux membres de la communauté LGBTQ «ce moment où nous étions tous jeunes et solitaires sans savoir que d'autres mondes étaient possibles ailleurs», a commenté Karen Tongson, professeur d'anglais et d'études sur le genre à l'université Southern California.

«C'est David Bowie et son personnage caméléon, ses identités mouvantes, qui nous ont permis d'imaginer devenir un être évoluant entre les genres», a-t-elle poursuivi.

Bowie a contribué à la «signification d'être homo - d'incarner, et d'évoluer librement dans toute une gamme d'identités qui ne sont pas nécessairement figées, ou même ayant des désirs non préétablis», a relevé Mme Tongson.

«Un garçon ou une fille»

Pionnier dans la musique, le cinéma et la mode, il avait imprégné ses textes d'androgynie.

Ainsi, l'une de ses plus célèbres chansons Rebel Rebel (1974) clamait: «Tu as plongé ta mère dans un tourbillon/Parce qu'elle n'est pas sûre si tu es un garçon ou une fille».

Une ambiguïté sexuelle maintenue plus tard dans sa carrière. Dans l'intense Hallo Spaceboy issu de l'album Outside (1995), Bowie interrogeait: «Est-ce que tu ne veux pas être libre?/Est-ce que tu aimes les filles ou les garçons?/C'est confus ces temps-ci».

Et sur son dernier album Blackstar, publié le jour de son 69e anniversaire vendredi quand il vivait ses dernières heures, il interprète un titre en polari, un argot utilisé par la communauté homosexuelle dans l'Angleterre victorienne.

Malgré son statut d'icône des minorités sexuelles, Bowie ne s'est que rarement exprimé politiquement pour en défendre les droits contrairement à des artistes qu'il a fortement influencés comme Madonna et Lady Gaga.

Il s'est marié deux fois, avec des femmes. La dernière, c'était l'ancienne top-model d'origine somalienne Iman depuis 1992.

Bénéficiant d'un succès et d'une influence immenses, le chanteur a toujours été un fier avant-gardiste plutôt qu'un artiste grand public. Sa carrière a débuté au moment où le mouvement de libération des gais prenait de l'élan, avec la dépénalisation des relations entre hommes au Royaume-Uni en 1967.

Liberté d'identité

Pour de nombreux idolâtres, son importance ne relevait pas de ses déclarations mais de son esthétique.

«L'importance de David Bowie - du moins dans ma vie et probablement dans la vie de beaucoup - est d'une certaine façon plus marquante que celle du mouvement des droits des gays dans son ensemble», a confié Stephin Merritt, auteur-compositeur et leader du groupe de rock indie The Magnetic Fields.

«Bowie, c'est la liberté d'avoir l'identité que vous souhaitez, pas simplement le genre», a-t-il relevé.

L'androgynie de Bowie a également influencé des générations de chanteurs hétérosexuels, de tous horizons musicaux, aspirant à une masculinité moins rigide.

Le chanteur anglais de Depeche Mode Dave Gahan, qui est hétérosexuel, a décrit un foyer ouvrier ennuyeux jusqu'à ce qu'il découvre Bowie à la télévision.

«Bowie m'a donné l'espoir qu'il y avait quelque chose d'autre», a-t-il raconté à un biographe. «J'ai simplement pensé qu'il n'était pas de notre planète».