Avec Blackstar, qui paraît aujourd'hui, David Bowie redevient l'artiste qui s'est longtemps plu à déstabiliser même ses admirateurs les plus fidèles.

La sortie de ce nouvel album n'a pas le même impact que l'annonce de celle de The Next Day, qui avait pris tout le monde de court le 8 janvier 2013, jour où Bowie fêtait ses 66 ans.

À l'époque, personne n'attendait plus rien de l'artiste, qui s'était éclipsé depuis qu'il avait subi une angioplastie à l'été 2004. La diffusion de sa première nouvelle chanson en 10 ans, Where Are We Now?, et la parution de cet album le 12 mars suivant allaient précéder de peu l'exposition David Bowie Is, que lui consacrerait le Victoria & Albert Museum de Londres et qui allait faire le tour du monde.

L'artiste-caméléon qui avait souvent changé de peau et de personnalité musicale au fil de sa longue carrière venait de réussir l'un de ses coups les plus fumants, mais allait-il continuer sur cette lancée? Son complice de toujours, le réalisateur Tony Visconti, en était convaincu.

«Il y a des chansons écrites pour The Next Day qu'on n'a jamais terminées. Je peux dire que David est très heureux et qu'il veut faire d'autre musique», nous avait confié Visconti peu avant de donner une conférence à Pop Montréal, en octobre 2013.

Ave Maria... Schneider

Mais voilà: Blackstar n'a rien à voir avec The Next Day. Alors que The Next Day était une série de clins d'oeil réussis au vaste répertoire de Bowie, ce nouvel album audacieux fait (presque) table rase du passé de l'artiste, qui a préféré cette fois s'éclater avec des musiciens de jazz de New York.

N'empêche, on y reconnaît le Bowie qui n'était jamais tout à fait là où ses fans l'attendaient dans les années 70 et qui, en 1997, nous disait: «Je n'ai aucune loyauté en musique. [...] Ma seule constante, c'est d'être iconoclaste. J'ai tendance à défaire ce que je viens tout juste de créer. Je suis extrêmement chanceux qu'un groupe de personnes relativement sympathiques et compréhensives de par le monde m'aient suivi [rires|. Elles n'ont probablement pas aimé tout ce que j'ai fait et je ne les blâme pas, mais, au moins, elles ont eu la curiosité d'écouter et d'acheter les albums que je fais.»

En 2014, Bowie a lancé une compilation (Nothing Has Changed) dans laquelle on pouvait entendre une chanson inédite, Sue (Or In a Season of Crime), enregistrée avec le big band de Maria Schneider.

C'est justement cette jazzwoman qui, sentant que Bowie voulait une fois de plus s'écarter des sentiers battus et rebattus du rock, lui a conseillé d'aller voir le groupe du saxophoniste Donny McCaslin au Club 55 de Greenwich Village. Bowie allait y trouver les musiciens allumés qui l'accompagneraient dans le prochain chapitre de sa carrière.

McCaslin n'est pas un inconnu dans le milieu du jazz québécois, lui qui a notamment joué avec Julie Lamontagne au Festival international de jazz (FIJM) de 2009 et que les habitués de longue date du festival montréalais ont peut-être vu aux côtés de Gary Burton dès 1988. Ses acolytes Mark Guiliana (batterie), Tim Lefebvre (basse) et Jason Lindner (claviers) sont également tous passés par le FIJM, tout comme le guitariste Ben Monder qui jouait avec Christine Jensen au Dièse Onze pas plus tard que l'été dernier.

Étoile noire

Blackstar n'est pas un album de jazz. Mais au fil de ses sept longues pièces - la moitié moins que sur The Next Day -, Bowie accorde à ses nouveaux compagnons d'aventure tout l'espace pour s'éclater, en sachant fort bien qu'ils peuvent jouer de tout.

Ça s'entend dès la toute première chanson, la magistrale Blackstar, née du jumelage de deux compositions que Bowie avait dans ses cartons. Au fil de ses trois mouvements et de ses (presque) 10 minutes, Blackstar est à la fois sombre, obsédante et expérimentale puis lumineuse et accrocheuse comme peuvent l'être les meilleures compositions de Bowie.

Blackstar, la chanson, n'a rien de rassurant. Bowie, qui n'accorde plus d'interviews depuis des années, a confié à McCaslin qu'elle lui avait été inspirée par le groupe armé État islamique, rapporte le magazine Rolling Stone. Dans le long vidéoclip lugubre qui l'accompagne, Bowie y apparaît tantôt comme un otage aveugle, tantôt comme un prophète.

C'est le même personnage aux yeux bandés qui revient dans le clip de Lazarus - l'une des meilleures chansons du disque - qui est en ligne depuis hier. Or, Lazarus est également une pièce de théâtre musical coécrite par Bowie le touche-à-tout, mais dont le personnage principal n'est pas le Lazare du Nouveau Testament mais plutôt l'extraterrestre Thomas Jerome Newton qu'incarnait Bowie dans le film The Man Who Fell To Earth en 1976.

Cette fois, le rôle a été confié à Michael C. Hall (Dexter, Six Feet Under) et Lazarus fait salle (ultra) comble depuis sa création off-Broadway le mois dernier.

La preuve par quatre que, même à 69 ans, David Bowie peut se permettre toutes les excentricités. Il y aura toujours un public pour le suivre, qui sera récompensé au centuple.