Plus de 17 ans après sa mort et au moment de célébrer, samedi, le centième anniversaire de sa naissance, Frank Sinatra et son héritage musical continuent d'occuper une place unique dans la culture américaine.

Les événements se multiplient ces jours-ci pour rendre hommage à «The Voice», comme il fut surnommé de son vivant, signe que la Sinatramania n'a rien perdu de sa vigueur.

Un grand concert à Las Vegas, avec notamment Tony Bennett ou Lady Gaga, un autre au Lincoln Center à New York, des fêtes à thème, la pose d'une plaque commémorative dans sa ville natale d'Hoboken dans le New Jersey: Francis Albert Sinatra est à l'honneur.

Un coffret de quatre CD incluant d'anciens enregistrements radio est sorti fin novembre et au moins dix livres sur Sinatra ont été publiés cette année, explorant le mythe de ce personnage adulé au côté obscur.

Pour beaucoup, la persistance de Sinatra dans le paysage musical américain tient certes à la densité de son oeuvre, mais aussi à l'absence d'un successeur.

«Il n'y a qu'un seul Frank», estime Sid Mark, animateur de l'émission radiophonique Sounds of Sinatra, qui ne diffuse que des titres de Sinatra depuis 59 ans.

L'intérêt des auditeurs, qu'ils aient été contemporains de Sinatra ou non, est toujours «très soutenu», assure le présentateur radio de 82 ans, qui propose parfois des marathons d'un week-end sans diffuser deux fois le même titre.

Frank Sinatra a suivi la voie tracée par une autre vedette américaine, Bing Crosby, en faisant carrière au cinéma tout en devenant un chanteur adulé pour sa capacité à tisser un lien fort avec son public.

Mais Ol' Blue Eyes, un autre de ses surnoms, «avait quelque chose que n'avait pas Crosby: du sex-appeal», fait valoir Sid Mark.

«Quand Frank montait sur scène», insiste-t-il, «il y avait de l'électricité dans l'air. Cela se ressentait même dans ses enregistrements».

Du swing et du génie

Frank Sinatra a été l'un des premiers chanteurs à accorder une importance particulière au marketing, au point de capitaliser sur son image d'Italo-Américain issu d'un milieu modeste, tout en soignant son apparence, toujours impeccable.

Mais ces artifices n'étaient qu'un complément aux qualités musicales de Frank Sinatra, universellement reconnues, bien qu'il n'ait jamais reçu de formation traditionnelle et soit né avec un tympan perforé.

Méticuleux, pointilleux à l'extrême, l'homme n'a écrit aucune des chansons qui l'ont rendu célèbre mais a travaillé d'arrache-pied pour en donner une interprétation inimitable.

Fréquemment associé à des «big bands» au début de sa carrière, il a ensuite évolué vers les grands airs de comédies musicales et le jazz.

«C'est l'un des plus grands musiciens de jazz qui ait jamais vécu», considère David Finck, un bassiste de jazz qui a travaillé avec des stars de la pop comme Rod Stewart ou George Michael, et écrit sur Sinatra.

«Il n'aurait probablement jamais dit de lui qu'il était un musicien de jazz, mais le gars avait plus de swing que beaucoup de joueurs de saxophone que je connais», martèle-t-il.

Il y avait du génie, dit-il, dans sa compréhension du rythme et sa façon de mettre en valeur musicalement les paroles de ses chansons, en appuyant sur les consonnes et en insistant sur certains mots avec intuition.

Samedi, l'épicentre des commémorations du centenaire de Frank Sinatra sera Hoboken, sa ville natale.

Le chanteur à la voix d'or a toujours entretenu une relation complexe avec cette ancienne cité ouvrière située au bord de l'Hudson, face à l'île de Manhattan.

Il y a fait venir le président Ronald Reagan en 1984 mais ne s'y est, pour le reste, jamais investi, humainement ou financièrement, ce qui lui vaut une réputation mitigée à Hoboken.

Le choix de la municipalité de rebaptiser l'une de ses rues Frank Sinatra Drive, en 1979, a déclenché une controverse, rappelle Robert Foster, directeur du Hoboken Historical Museum, qui accueille actuellement une exposition sur le chanteur.

«Les gens disaient: mais qu'a-t-il fait pour Hoboken?», explique-t-il.

Aujourd'hui, cependant, les visiteurs qui parcourent l'exposition temporaire se soucient peu de ces polémiques, reconnaît Robert Foster.

«La joie les parcourt lorsqu'ils entendent sa musique», dit-il, «et c'est tout ce dont ils ont besoin.»