Sous la bannière Au sommet/Musiques festives de Bach et de Handel, la soirée de vendredi s'annonce effectivement un sommet du Montréal baroque. Présenté à la Maison symphonique par le Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) et l'Ensemble Caprice, cet ambitieux programme regroupe des oeuvres de Handel et de Bach père et fils. Voilà qui en dit long sur la santé des musiques anciennes et baroques sur le territoire québécois.

Hormis le SMAM et l'Ensemble Caprice, les musiques anciennes et baroques sont portées par Les Violons du Roy et La Chapelle de Québec, Arion-Orchestre baroque, Idées heureuses, Harmonie des saisons Granby, l'Ensemble Claude-Gervaise, l'Ensemble La Cigale, le Quatuor Franz-Joseph, Les Voix humaines, pour ne nommer que ceux-là.

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« Il y a une effervescence, car il existe environ 25 ensembles et organismes structurés de musique ancienne et baroque. C'est énorme si on se situe dans le contexte. Ici, plusieurs formations présentent leurs propres séries de concerts et partent en tournée. Nous, de l'Ensemble Caprice, sommes parmi les plus actifs ; nous tournons beaucoup à l'étranger, nous aurons donné 65 concerts cette année », explique Matthias Maute, flûtiste, compositeur, chef d'orchestre et directeur artistique de l'Ensemble Caprice, dont il partage la direction avec sa conjointe, aussi flûtiste, Sophie Larivière.

Comment s'explique-t-on ce dynamisme local peu commun ? D'origine allemande, le Montréalais d'adoption (depuis 1999) fournit cette réponse :

« La structure insulaire de notre communauté musicale et l'enseignement supérieur de la musique favorisent ce bouillonnement. Formés dans les quatre universités, plusieurs musiciens décident de rester. Aussi, le soutien public à la musique les incite à poursuivre et mettre sur pied des ensembles de première classe. Ces conditions nous permettent d'atteindre une très haute qualité d'interprétation. »

Le legs de Christopher Jackson

Présenté dans le cadre du Festival Bach, le programme de demain soir met en lumière la collaboration de l'Ensemble Caprice et du Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM). L'événement ne sera pas sans rappeler l'immense contribution du chef de choeur et organiste Christopher Jackson, mort récemment d'un cancer fulgurant.

Le musicien avait pourtant été l'un des instigateurs de cette soirée, raconte Matthias Maute :

« J'ai eu une réunion avec lui en avril dernier. Il croyait avoir une pneumonie et c'était finalement le cancer. C'est une lourde perte pour la musique montréalaise. Christopher est une légende, comme la gambiste Susie Napper, des Voix humaines. Ils sont de cette génération fondatrice qui a tout mis en place dans les années 60 et 70, sur scène comme dans les institutions d'enseignement.

« Christopher Jackson était spécialiste de la musique chorale pour les périodes de la Renaissance et du XVIIe siècle, soit la première moitié de l'ère baroque. Il a développé cette approche alors que très peu de choeurs professionnels en connaissaient le répertoire sur le continent américain. Ce qui est très spécial ! »

Le SMAM et l'Ensemble Caprice n'en sont pas à leur première collaboration, fait observer Matthias Maute : « Nous avons déjà gagné ensemble un prix Opus. Nous avons alors réalisé que nous avions des atomes crochus ; ça marchait très bien côté musiciens et chanteurs, et aussi côté auditoire, car ce dernier semble beaucoup aimer ces collaborations. C'est effectivement rassembleur, nous nous retrouvons sur scène comme des frères et soeurs ! »

Bach père, Bach fils, Handel

Le programme de demain soir offre un grand répertoire pour choeur et orchestre et reflète ainsi des sommets atteints au XVIIIe siècle. Plus précisément, 23 musiciens de l'Ensemble Caprice iront à la rencontre des 18 chanteurs du SMAM, sous la direction de Matthias Maute et d'Andrew McAnerney (qui remplace feu Christopher Jackson).

Matthias Maute dirigera le Concerto brandebourgeois no 4 de Jean-Sébastien Bach pour violon, deux flûtes à bec, cordes et basse continue en sol majeur, BWV1049. Or, l'oeuvre la plus considérable sous sa direction sera le Magnificat pour voix et orchestre de Carl Philipp Emanuel Bach Wq 215, H.772 : « C'est l'une des grandes oeuvres de son époque. Elle fut composée en 1749 et son compositeur la retravailla en 1779. La version initiale avait été jouée devant Jean-Sébastien peu avant sa mort, question de démontrer qu'il avait fait ses armes dans le contrepoint, une technique dont le père était alors le maître absolu. Trois décennies plus tard, Carl Philipp Emanuel avait retravaillé sa partition en y ajoutant des trompettes, des timbales et des cors, et rendait cette oeuvre plus majestueuse. Nous allons jouer cette version à la Maison symphonique.

« Pour le chant, nous pourrons compter sur une brochette de solistes excellents. Très polyvalente, la soprano torontoise Shannon Mercer a longtemps travaillé avec l'Ensemble Caprice ; nous avons découvert le haute-contre uruguayen Leandro Marziotte, qui est en train de se construire une grande carrière ; le ténor allemand Rufus Müller a grande compréhension de la langue qu'il interprète ; nous sommes très fiers que la basse Clayton Kennedey soit parmi les solistes, car l'Ensemble Caprice compte lui confier des tâches de plus en plus importantes. »

Les deux autres oeuvres au programme sont signées George Frideric Handel et seront dirigées par le chef du SMAM, Andrew McAnerney. Matthias Maute les présente : « Handel venait d'arriver en Angleterre où il fut rapidement considéré comme un compositeur national. Il avait alors composé l'Ode pour l'anniversaire de la reine Anne pour choeur et orchestre HWV74. Il était dans la vingtaine, mais son processus créatif avait commencé beaucoup plus tôt.

« Quant à l'Hymne pour l'Hôpital des enfants trouvés pour choeur et orchestre HWV 268, c'était une pièce phare de Handel, dont il avait fait don afin d'amasser des fonds pour cet hôpital. Tout comme Bach, Handel avait intégré des éléments de l'opéra dans la musique sacrée ou la musique de célébration. Même s'il n'y a pas de mise en scène, cette musique porte les mêmes figures rhétoriques, la même force dramatique et la même tendresse que l'on peut ressentir devant une scène d'opéra. Et c'est ce qui la rend si touchante encore aujourd'hui. »

À la Maison symphonique vendredi soir, 20h.