La cohabitation d'un folk stratosphérique et d'un doom metal jaillissant du noyau terrestre est-elle possible ? En tout cas, elle s'avère parfaitement viable dans l'oeuvre de Chelsea Wolfe.

Cette Californienne de 31 ans a su fondre un alliage unique au fil de ses enregistrements studio, dont le tout chaud Abyss.

Au bout du fil, Chelsea Wolfe ne semble pas être la créature gothique que l'on s'imagine en regardant ses photos de presse et ses pochettes d'album. Elle affirme préférer les hauteurs des sierras californiennes aux ambiances souterraines de la vie nocturne urbaine. Et non, elle ne dort pas dans un cercueil le jour !

Chez Chelsea Wolfe, en fait, le sommeil évoque d'autres images : la parasomnie dont elle souffre l'empêche de faire consciemment tout mouvement volontaire lorsqu'elle est sur le point de s'endormir ou de se réveiller.

Dans le même contexte, les figures surgies au cours de ses rêves restent présentes au moment de l'éveil, ce qui provoque chez elle des poussées d'anxiété et même de paranoïa.

« J'écris souvent des textes où domine le sentiment de se trouver au milieu de nulle part. Déjà, sur mon premier album [The Grime and the Glow], j'avais composé une chanson intitulée Halfsleeper, où j'exprimais cet état. Or, avec le temps, j'ai pu transformer cette lutte contre mon trouble du sommeil par une quête artistique. »

Voyage au centre de la tête, en quelque sorte ? 

« J'imagine que cet état influence les dynamiques de ma musique, notamment les oppositions entre fréquences douces et corrosives. Faire dans les extrêmes me semble naturel. Ma vie comporte des épisodes très calmes, d'autres tumultueux. Cela peut aisément se traduire dans l'expression créative. »

DOUCEUR ET DISTORSION

La réputation de Chelsea Wolfe est de moins en moins souterraine, ce qui lui permet de remplir ses salles dans le monde entier et d'enregistrer dans des conditions optimales.

«Abyss, fait-elle remarquer, est le premier de mes albums qui est réalisé avec de ‟vrais" moyens. Mon équipe et moi avons travaillé en studio avec John Congleton, un proche de Steve Albini qui s'est aussi impliqué dans notre processus de création. Côté saturation, John avait obtenu des résultats intéressants auprès de Bill Callahan ou de Swans. Il a aussi parfaitement saisi mon approche. »

Chez Chelsea Wolfe, l'usage de la distorsion extrême est atypique, en ce sens que l'artiste imprime ses fréquences corrosives sur des chansons aussi constituées de passages doux, aériens, évanescents.

«Ce mélange, dit-elle, m'est venu naturellement. J'ai toujours travaillé sur les effets de saturation tout en maintenant l'usage de sons acoustiques. Mes premières influences vous sembleront banales : je suis fan de Hank Williams, de vieux country, j'aime les groupes de drone comme Swans, j'aime les vieux groupes métal, à commencer par Black Sabbath, j'aime le stoner rock de Queens of the Stone Age.»

La création en collégialité est un autre élément essentiel à sa propre réussite. « Je travaille avec un pool de musiciens très créatifs. Un des plus importants de ce noyau est Ben Chisholm. Sur scène, je joue avec Ben Chisholm [synthés, basse, piano], Dylan Fujioka [batterie] et Aurielle Zeitler [guitare]. Devant le public, les sons de mes albums se transforment. Il y a lieu de les mener ailleurs. »

Ailleurs, effectivement, est un mot-clé pour Chelsea Wolfe...

Au Théâtre Fairmount, ce soir, 20 h.