Quatre ans après avoir rassemblé plus de 160 000 fidèles sur le terrain de l'Hippodrome, U2 remet ça avec pas moins de quatre spectacles au Centre Bell. Pour les Irlandais, cette tournée iNNOCENCE + eXPERIENCE est l'occasion de mettre du baume sur leur annus horribilis.

Dans son plus récent album, Songs of Innocence, U2 veut renouer avec l'esprit des débuts de ce groupe de quatre ti-culs de Dublin, mus à la fois par une colère punk et un idéalisme à l'épreuve de toutes les désillusions.

Les souvenirs qui alimentent plusieurs chansons de Songs of Innocence datent pour la plupart d'avant la formation de U2. C'est le décès subit d'Iris alors que son fils Paul Hewson, le futur Bono Vox, n'a que 14 ans. C'est aussi l'attentat terroriste le plus mortel de l'histoire de l'Irlande, survenu le 17 mai 1974, ou encore la rue dans laquelle a grandi le petit Paul, immortalisée sur la chanson Cedarwood Road. C'est enfin Joey Ramone, dont l'exemple a convaincu le jeune Irlandais qu'il pouvait chanter lui aussi, même s'il avait une voix de fille.

Nostalgie que tout ça? Un peu, sans doute, mais il faut surtout y voir le désir profond de quatre musiciens dans la mi-cinquantaine de retrouver la fougue, l'urgence et l'inspiration qui leur ont permis de conquérir la planète au sortir de l'adolescence.

De tous les groupes qui font le tour des stades et des arénas de la planète aujourd'hui, U2 est probablement la valeur la plus sûre. La tournée précédente du quatuor, 360°, a été la plus lucrative de l'histoire, avec des recettes de plus de 700 millions. Qui d'autre que U2 aurait pu attirer 160 000 spectateurs en deux soirs dans un stade monté de toutes pièces sur le site de l'Hippodrome de Montréal en juillet 2011? Et ce, même si l'album qui avait précédé cette tournée record, No Line On the Horizon, n'avait pas laissé de trace indélébile dans la mémoire des fans du groupe.

Cette fois, avant même le début de la tournée iNNOCENCE + eXPERIENCE le 14 mai dernier à Vancouver, 98 % des 1,2 million de billets pour les 68 concerts avaient trouvé preneur.

Demeurer pertinents

C'est justement là que le bât blesse pour les quatre Irlandais qui, comme Madonna, voudraient que leurs nouveaux disques soient aussi appréciés que leurs classiques, contrairement, par exemple, aux Rolling Stones qui repartent en tournée sans même se donner la peine de lancer de nouveaux disques.

L'ennui pour U2, qui croit fermement aux vertus de ses nouvelles chansons, c'est que la controverse entourant le lancement de son plus récent album a totalement éclipsé son contenu.

Selon Live Nation, producteur de la tournée actuelle, Songs of Innocence a été écouté en ligne 81 millions de fois et téléchargé par 30 millions de fans, des statistiques qui perdent de leur éclat quand on rappelle que ledit album était gratuit.

Bono le reconnaît, lui qui disait au New York Times fin avril : « Le 14 mai, on va savoir si l'album a marché et si l'expérience a marché. Si les gens connaissent ces paroles et ressentent ces chansons, alors l'expérience aura été concluante. »

La tournée iNNOCENCE + eXPERIENCE devait au départ intégrer d'autres nouvelles compositions regroupées dans un album intitulé Songs of Experience. U2 a profité de son séjour à Vancouver pour y enregistrer au moins trois chansons (Red Flag Day, Civilization et Instrument Flying) dont Bono a dit qu'elles étaient terre à terre et plutôt pop. Mais à ce jour, pas de nouvel album à l'horizon.

Un spectacle novateur

Cette tournée, qui mêle donc les chansons de Songs of Innocence aux classiques du groupe, est l'occasion pour les fans de revoir leurs idoles dans l'intimité toute relative d'un aréna plutôt que dans un stade. U2 avait adopté la même stratégie après l'extravagante tournée de stades Pop Mart de 1997. En 2001, au Centre Molson, le groupe amorçait son spectacle Elevation toutes lumières allumées tandis que vendredi, c'est sous l'éclairage d'une seule ampoule qu'il jouera The Miracle (of Joey Ramone).

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Avant même le début de la tournée le 14 mai dernier à Vancouver, 98 % des 1,2 million de billets pour les 68 concerts avaient trouvé preneur.

La suite sera rien de moins que spectaculaire, s'il faut en croire les premiers échos provenant de l'ouest du continent dont certains annoncent même un nouveau standard en matière de spectacle rock d'aréna.

Plutôt que de trôner au-dessus de la scène principale, les haut-parleurs sont accrochés au plafond de l'aréna et distribuent un son d'égale qualité à tous les spectateurs. Sur le plancher, deux scènes installées aux extrémités de la patinoire - l'une rectangulaire, l'autre ronde - sont reliées par une passerelle qui divisera l'enceinte en deux parties en milieu de spectacle. Ajoutez à cela plus d'écrans LED et de tubes fluorescents qu'il n'en faut pour dire wow !

C'est sur cette passerelle que The Edge, un peu dans la lune, a perdu pied vers la toute fin du premier spectacle de la tournée, pendant la chanson I Still Haven't Found What I'm Looking For. Quand il a vu son ami guitariste chuter de quelques pieds sur le plancher qui sépare cette passerelle du public, le batteur Larry Mullen a craint que la tournée ne se termine le soir même où elle commençait, un chapitre additionnel dans l'annus horribilis qu'a connue U2. Heureusement, The Edge s'en est tiré indemne.

Deux semaines plus tard, le directeur de tournée du groupe était trouvé mort dans sa chambre d'hôtel quelques heures après le premier de cinq concerts à Los Angeles.

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Au Centre Bell, les 12, 13, 16 et 17 juin à 19 h 30. En raison des mesures de sécurité, il est fortement conseillé de se présenter au Centre Bell bien avant le début du spectacle.

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Les mauvaises expériences

Le cadeau imposé

Le 9 septembre 2014, à l'occasion du lancement de l'iPhone 6, le nouvel album de U2, Songs of Innocence, apparaît dans la discothèque iTunes de 500 millions d'utilisateurs. Ni U2 ni Apple, déjà partenaires à l'époque du lancement de l'iPod U2 en 2004, n'avaient prévu le ressac face à ce cadeau que d'aucuns ont perçu comme une intrusion. Même grogne dans l'industrie qui estimait qu'en « donnant » l'album de U2, Apple dévaluait encore un peu plus la musique. Apple a dû monter un système pour faire en sorte que l'album puisse être supprimé d'iTunes. U2 s'est excusé par la suite, Bono affirmant que ce geste était motivé par « une pointe de mégalomanie, un soupçon de générosité, un peu d'autopromotion et la crainte profonde que ces chansons auxquelles [ils avaient] consacré les plus récentes années de [leur] vie ne soient pas écoutées ».

Le chanteur éclopé

Le 16 novembre 2014, Bono fait une chute à vélo en tentant d'éviter un autre cycliste dans Central Park. Il s'en tire avec de multiples fractures et racontera à l'animateur Jimmy Fallon que l'humérus de son bras gauche avait transpercé son blouson de cuir. Le 1er décembre suivant, à l'occasion de la Journée mondiale du sida, Bruce Springsteen et Chris Martin le remplacent dans le groupe rebaptisé U2 Minus One pour un concert à Times Square. Après une longue période de réadaptation, Bono reprend sa place, le groupe repart en tournée mais le chanteur ne peut toujours pas jouer de la guitare. Le 8 mai dernier, il se prête à un gag avec le même Fallon dans lequel Bono-le-cycliste se fait frapper trois fois par un camion qu'occupent les trois autres membres de U2. C'est dans cette même émission que U2 surprend des usagers du métro de New York en leur chantant Desire.

PHOTO STEPHEN LAM, ARCHIVES REUTERS

Le PDG d'Apple Tim Cook et le membres de U2 à l'occasion du lancement de l'iPhone 6.

Le militant et le fisc

En 2006, U2 a transféré de l'Irlande aux Pays-Bas l'entreprise U2 Ltd qui administre ses éditions, dans le but avoué de payer moins d'impôts. Ce faisant, le groupe aurait économisé 500 millions de livres, selon le Guardian. Comment Bono, qui s'est fait le porte-parole de la lutte contre la pauvreté et a milité pour l'effacement de la dette des pays du tiers-monde, peut-il justifier pareille manoeuvre? « U2 pay tax 2 ? » pouvait-on lire sur une banderole tenue par des protestataires au festival de Glastonbury de 2011, dont U2 était la tête d'affiche. La question a encore été soulevée par Sky News le mois dernier à Vancouver où le groupe lançait sa tournée actuelle. Bono et The Edge ont répondu qu'ils payaient de bon gré une fortune en impôts et Bono a ajouté qu'il était en désaccord avec ceux qui croient que parce qu'il est un philanthrope et un militant, il devrait « être stupide en affaires ».