Mercredi, Shaggy a exhibé fièrement son drapeau national lors de son passage sur le plateau de Jimmy Fallon. Il faut aller en Jamaïque pour constater à quel point la culture du pays - et surtout sa musique - s'est exportée aussi massivement compte tenu de la petitesse de son île où vivent à peine 2,7 millions d'habitants.

Comme à Seattle et Nashville, visités il y a plusieurs années, le tourisme musical attire beaucoup de gens en Jamaïque. Alors que des vacanciers préfèrent se prélasser sur les plages des tout-inclus de Montego Bay et de Negril, d'autres désirent visiter la capitale, Kingston, pour y faire un pèlerinage musical.

Nous sommes arrivés à Kingston le 10 avril alors que Barack Obama terminait une visite présidentielle qui a créé un engouement monstre. Une visite de seulement 22 heures, dont les médias parleront sans doute pendant 22 jours. Nous avons manqué le président américain d'une journée lors de notre visite du musée Bob Marley, construit dans son ancienne maison, que la légende jamaïcaine a achetée de Chris Blackwell, grand patron de son label, Island Records.

La visite obligatoire et guidée, au prix de 20 $, permet notamment de voir la chambre à coucher de Marley et de sa femme Rita, ses vêtements fétiches de scène, une fascinante série de photographies, ainsi que la pièce où le couple a survécu à un assassinat en 1976. La visite permet surtout de saisir à quel point Marley a tourné partout dans le monde jusqu'à la fin de sa vie. Son succès planétaire n'avait rien de posthume.

Seul bémol du musée : le manque de connaissances biographiques de notre guide.

LEÇON DE « TWERK »

Les rues, bars et restaurants de Kingston semblaient étonnamment calmes lors des deux jours suivant notre arrivée. Même le célèbre Redbones Blues Café était désert par un samedi soir ensoleillé. « Les gens se préparent pour le carnaval, demain », nous a expliqué le barman.

Le dimanche 12 avril, en voyant des milliers de gens défiler dans les rues de Kingston pour le Bacchanal Jamaica Carnival, nous avons tout compris. Si les mouvements suggestifs de Miley Cyrus vous offusquent quand elle s'adonne au « twerking », n'allez pas en Jamaïque. Pendant le carnaval, des milliers de femmes vêtues d'un bikini - assorti de plumes - feignent la chose en dansant avec un partenaire masculin alors que les boissons aphrodisiaques coulent à flots.

Selon Wikipédia, le twerk, de l'anglais twerking, se veut « une danse sensuelle qui incite à l'acte sexuel ». Entré dans l'Oxford English Dictionary en 2013, le twerking résume l'acte de « danser sur de la musique populaire de manière osée et provocante en faisant des mouvements de hanches et en s'accroupissant ». La femme « secoue ses fesses d'une manière provocante, alors qu'elle est dans une position accroupie ».

Voilà pour la leçon de linguistique.

Lors de notre séjour à Kingston, nous avons eu la chance de prendre part à deux soirées « sound system » de Stone Love. Une tradition née dans les années 50 dans les ghettos de la capitale, où des DJ organisaient des fêtes de rue avec un camion, des platines et des haut-parleurs.

Plus marginale, la première soirée avait lieu tard un lundi soir dans un quartier industriel désaffecté du sud-est de la capitale. C'est avec un certain soulagement que notre chauffeur de taxi a trouvé l'endroit entre deux hangars à la fin de Spanish Road. Une fois sur place, quel spectacle ! Devant nos yeux, des vendeurs de ganja (marijuana), des caméras filmant des danseurs, des BBQ en barils de poulet jerk, des Chinois semi-hipsters d'origine jamaïcaine et quelques rares Caucasiens. Étonnement : le grand intérêt pour le R & B américain du top 40

MUSIQUE OMNIPRÉSENTE

Nous avons également assisté à la célèbre soirée - plus établie - du Weddy Weddy Wednesday, réunissant des gens de tous les âges dans le quartier de New Kingston. Conseil d'ami : arrivez après 1 h du matin pour être dans le feu de l'action.

Autre détour incontournable pour les amateurs de vinyles : une virée dans la boutique Rockers International, en réaménagement pendant notre visite. En mangeant un plat Ital (le régime végétalien des Rastafaris), un sympathique employé vous fera écouter tous les 33 tours que vous voulez. Nous avons mis la main sur des simples (avec la version dub sur la face B) d'Augustus Pablo, Willie Williams, Norris Reid et Sista Africa. 

Pas très loin de là, dans le bouillant marché Coronation, il y a de multiples vendeurs de bons vieux CD piratés. Dans le quartier voisin de Trench Town, il est également possible d'aller visiter les studios de Tuff Gong Recordings, exploité par Ziggy Marley.

La musique est omniprésente en Jamaïque. Même dans le creux d'une vallée des paisibles Blue Mountains, de la musique reggae ou dancehall jaillit d'une maisonnée. À Port Antonio, village colonial côtier du sud-est de l'île, des chants gospel résonnaient des nombreuses églises.

La Jamaïque a un impressionnant taux d'exportation de musique pour son petit nombre d'habitants, disait-on. Le hasard a fait qu'un vendeur de Fréquences Disquaire nous a vanté une compilation du mythique label jamaïcain Studio One la veille de notre départ. Et deux jours après notre retour, Socalled nous racontait en entrevue comment il a pu collaborer avec le célèbre DJ de dancehall Josey Wales sur son nouvel album.

Avec l'été qui s'en vient, nous avons bâti une bien modeste liste d'écoute de tubes jamaïcains, d'hier à aujourd'hui.

À voir aussi : le périple filmé par Rolling Stone de Diplo au sein de Major Lazer à Kingston. Le célèbre DJ et musicien électronique américain y explique comment est né son amour du dancehall.

PHOTO PABLO MARTINEZ MONSIVAIS, ASSOCIATED PRESS

Barack Obama en visite au musée Bob Marley

PHOTO GILBERT BELLAMY, REUTERS

Le twerk est l'une des activités principales du carnaval.

Liste d'écoute jamaïcaine

Au-delà de Bob Marley, il y a de nombreux artistes jamaïcains d'hier à aujourd'hui à découvrir. De la musique précurseur du ska des Skatalites et Prince Buster (qui ressemble au jazz et au punk), au reggae seventies de John Holt et Gregory Isaacs, jusqu'aux succès pop internationaux de Shaggy et Konshens.

Simmer Down de Skatalites (1964)

Associé au label Studio One et au chanteur Prince Buster, on considère le groupe The Skatalites comme un précurseur du ska. 

Riding For A Fall de John Holt (1972)

Pour des raisons obscures, cette chanson langoureuse de John Holt nous rappelle le génie de Sixto Rodriguez.

Cinderella in Black d'Augusto Pablo (1973)

Le Mélodica est l'instrument avec lequel Augusto Pablo a fait sa marque. 

Night Nurse de Gregory Isaacs (1982)

Dans l'imposante discographie de l'incontournable Gregory Isaacs, Night Nurse est paru en 1982.

Zungguzungguguzungguzeng de Yellowman (1982)

Ce n'est pas compliqué : ce titre du chanteur albinos Yellowman est le meilleur antidépresseur qui soit.

Undercover Lover de Josey Wales (1985)

L'autre légendaire DJ et artiste dancehall Josey Wales a collaboré au nouvel album du rappeur montréalais Socalled.

King of The Dancehall de Beenie Man (2009)

Beenie Man est un autre artiste de dancehall jamaïcain qui connaît un important succès international. Il a par contre été taxé d'homophobie.

Ting-A-Ling de Shabba Ranks (2009)

Shabba Ranks est le légendaire musicien jamaïcain qui a fait savoir au monde entier à quel point la culture jamaïcaine était homophobe, il y a déjà plus de 20 ans.