«Il y a trop d'albums qui sortent.» Voilà une phrase entendue souvent, et pas seulement de la bouche de journalistes.

Vous êtes nombreux à vous avouer incapables de suivre le cycle des sorties d'albums, tellement elles sont nombreuses chaque semaine.

Même pour un mélomane averti, il est difficile de demeurer à jour dans le calendrier musical et de consommer toutes les nouveautés convoitées. Même si on peut travailler avec de la musique ou en écouter au centre de conditionnement physique ou dans le métro.

À elle seule, la liste des albums sortis au Québec depuis le début de l'année donne le vertige. Tire le coyote, Sarah Bourdon, Jean Leloup, Galaxie, Marie-Pierre Arthur, domlebo, Pierre Lapointe, Ariane Moffatt, Julie Blanche, Bïa et Navert, pour ne nommer que ceux-ci, ont fait paraître un nouvel opus. Et c'est sans compter Louis-Jean Cormier dont le deuxième album sort en grand mardi prochain.

Tous des artistes qui peuvent plaire à un même public. Ajoutez à cela les artistes québécois anglophones (Elliot Maginot, Milk & Bone), les grosses pointures pop (Madonna, Bob Dylan), les sorties indé majeures (Father John Misty, Modest Mouse), et vous avez besoin de prendre deux semaines de congé pour tout rattraper. Surtout qu'il faut souvent apprivoiser de nouvelles chansons avant de les savourer pleinement.

Trop de sorties d'albums? «Je ne pense pas qu'il y en ait trop, mais le consommateur a beaucoup de choix à faire», répond Marie-Pier Létourneau, attachée de presse pour le label Indica, où elle dirige aussi des projets de développement.

Indica gère des groupes aux carrières internationales (Half Moon Run, Misteur Valaire) comme des artistes au public majoritairement québécois (Alexandre Désilets, Chantal Archambault) et des formations montréalaises anglophones dont les membres sont francophones (The Loodies, Elliot Maginot).

La règle d'or chez Indica: la valeur artistique d'un album doit être à la hauteur avant de songer à sa mise en marché. 

«Quand la musique n'est pas là, on ne le sort pas.»

Dans le cas d'un groupe international comme Half Moon Run, Indica doit fixer une date qui sied à l'ensemble des intervenants (attachés de presse, cogérance, distributeurs, agence de tournée).

«Chaque sortie d'album se décide avec un artiste, souligne pour sa part Alixe Hennessey Dubuc, fraîchement nommée directrice du marketing et de la promotion chez Audiogram. Il faut voir ce que l'album peut accomplir en radio et en tournée.»

Préparer le terrain

Chez Audiogram, où les sorties sont multiples et variées (de Pierre Flynn au groupe rap Loud Lary Ajust), on prend soin d'accorder le délai nécessaire entre deux nouveautés, surtout pour les sorties émergentes pour lesquelles il faut bien préparer le terrain.

Le premier extrait du plus récent album d'Alex Nevsky, On leur a fait croire, est sorti quatre mois au préalable, en avril 2013. Un clip a suivi en août en marge de la sortie d'Himalaya mon amour, et c'est en septembre que le tube a pris d'assaut les palmarès des radios. 

«L'album n'est pas une finalité. Après, il y a la tournée, des clips et des extraits radio.»

L'avènement du format numérique a changé la donne. Lancer un extrait en format numérique seulement permet de tâter le pouls du public à faible coût, souligne Georges Tremblay, président de DEP et Believe Digital. «Il y a des succès radio qui ne se transforment pas nécessairement en succès de vente», souligne-t-il.

De nombreux indicateurs permettent de se faire une idée du succès de vente d'une chanson ou d'un album. Le nombre de visionnements du clip sur YouTube, par exemple, et le partage de liens sur les réseaux sociaux.

Du cas par cas

Habituellement, les artistes veulent sortir un album rapidement après son enregistrement pour rester en phase avec son contenu et son esthétique. «Surtout pour un premier album qui a été composé sur plusieurs années», souligne Marie-Pier Létourneau.

Indica éviterait qu'un album d'Half Moon Run sorte la même semaine que celui d'Of Monsters And Men, ou que la date de sortie de Chantal Archambault soit la même que celle de Louis-Jean Cormier. Du gros bon sens, et «du cas par cas».

En règle générale, le mois de septembre sert aux grosses pointures, alors que les gens et les radios sont en mode Noël à partir de la mi-novembre. «L'été, l'attention médiatique n'est pas là», souligne Marie-Pier Létourneau.

Pour Arcade Fire, l'idée à double tranchant de sortir son album The Suburbs le 2 août 2010 s'est avérée un franc succès. Le groupe a même remporté le Grammy de l'album de l'année.

La musique n'est pas une science exacte. Marie-Pier Létourneau souligne qu'il y a des phénomènes médiatiques imprévisibles comme ceux d'Half Moon Run et de Milk & Bone (duo montréalais qui sortait son premier album hier dans un Centre PHI plein à craquer).

Au cours des dernières années (où elle a aussi travaillé chez Spectra), l'attachée de presse a eu de la facilité à faire la promotion de nouveaux albums pendant le mois (généralement plus calme) de février. Cela lui a servi pour Chantal Archambault, Patrice Michaud et tout récemment Elliot Maginot. «Mais cette année, j'ai trouvé cela chargé.»

C'est aussi ce que nous disait Olivier Langevin en entrevue, il y a un mois, pour la sortie de Zulu, le nouvel album de Galaxie. «C'est l'enfer, cet hiver! Quand on enregistrait, c'était presque consanguin. Pour trouver des dates de studio et de lancement, tout le monde s'appelait.»

«Pas de recette»

Au Québec, les relationnistes se consultent et se fient beaucoup à l'agenda de l'ADISQ pour fixer une date de sortie.

Trop de musique, est-ce comme pas assez? «Non. Tant mieux si c'est effervescent», lance Alixe Hennessey Dubuc, d'Audiogram.

Il n'y aura jamais trop de bonne musique, selon Georges Tremblay. «C'est toujours plus facile quand ta chanson est un hit», dit-il, citant Phil Spector.

«Il n'y a pas de recette. À la fin, le juge, c'est le public.»