Avec la Belgique comme invitée d'honneur de Montréal en lumière 2012, il était bien difficile de ne pas monter un hommage à Jacques Brel, le plus grand nom de la chanson belge. Ou est-ce de la chanson française? En tout cas, c'était Brel. Une fois.

Le plan «pour un soir seulement», toutefois, a dû être vite abandonné, la demande amenant le producteur Spectra à offrir deux représentations dans la même journée, à la Maison symphonique. «Ç'avait un peu écourté notre générale», se rappelle Luc De Larochellière, coprésident d'honneur de Montréal en lumière cette année-là, à qui on avait confié la mise en scène du spectacle de Brel, dont il faisait aussi partie. Larochellière en lumière...

L'oeuvre de Jacques Brel, ça ne fait pas de doute, résonne encore dans les coeurs, même chez ceux qui ne l'ont pas connu vivant. L'accueil est tel que les FrancoFolies mettent Ne me quitte pas à leur programme de 2013, l'année marquant le 35e anniversaire de la mort de Brel (1929-1978). Cinq jours avant, le spectacle avait été présenté au Festival de la chanson de Tadoussac. À la demande générale, Ne me quitte pas - 10 interprètes à rassembler: pas simple - est finalement parti en tournée au Québec, l'hiver dernier.

Rien, on le voit, n'a marché «comme prévu» et voilà que, trois ans et une vingtaine de spectacles plus tard, sort demain le CD Ne me quitte pas - Un hommage à Jacques Brel, sobrement rendu par 11 chanteurs et chanteuses d'ici qu'accompagne de magnifique façon le pianiste Benoît Sarrazin, qui a aussi réalisé l'album.

«L'idée première, répète Luc De Larochellière, était de garder les choses simples, ne pas risquer de passer à côté de l'oeuvre. Au-delà des textes et des mélodies, Brel était un grand interprète et cette force pousse les interprètes d'aujourd'hui dans leurs derniers retranchements, les oblige à se surpasser pour occuper l'espace.» Sur scène comme sur disque.

Le premier succès

Catherine Major a remplacé Bïa pour cinq représentations de la première tournée, mais la voici dans une magnifique interprétation de Quand on n'a que l'amour, le premier grand succès de Brel (1956) où s'impose ce crescendo dont il fera sa «signature» dramatique.

«J'ai connu Jacques Brel par mon père», nous dira Catherine Major, qui s'accompagne au piano pour cette «éternelle» qu'interprétait en spectacle Marie-Élaine Thibert, impeccable par ailleurs dans son contre-emploi avec Les remparts de Varsovie.

Catherine Major est allée à l'essentiel. Pas d'écoute d'autres relectures, pour voir... «J'ai toujours évité cette approche qui, pour moi, ressemble à une étude de marché. Il faut s'en remettre à son intuition. Pour arriver à respecter l'oeuvre tout en restant soi-même.»

«Brel était très fin dans le rendu. Il est difficile de se l'approprier. J'ai écouté la chanson une fois puis j'ai éteint le lecteur pour commencer tout de suite à m'en détacher.»

Personne ne se prend pour Jacques Brel sur Ne me quitte pas, où Isabelle Boulay interprète la chanson-titre. Brel avait-il des chansons «sexuées» qui ne pouvaient être chantées que par un homme? «Avec autant de femmes que d'hommes dans le projet, explique Luc De Larochellière, on a dû se poser la question. On pourrait considérer qu'Amsterdam, une chanson de marins et de bordels, est une chanson d'homme, mais Bïa, par la force de son interprétation, transcende complètement la chose.»

Mathilde, par ailleurs, ne peut être chantée que par un «Jacques» démuni devant le retour en ville de son ex. Et c'est De Larochellière qui s'est retrouvé avec... «Ma chanson préférée de Brel, c'est Voir un ami pleurer, mais Diane Tell la chante tellement bien...»

De Larochellière, pour finir, nous parlera de son «chouchou», celle qu'il a lui-même intégrée au spectacle: Danielle Oddera. La soeur de Clairette - que Brel ne manquait jamais de visiter à sa boîte de la rue de la Montagne - est la seule artiste de la distribution à avoir connu personnellement le chanteur. «Avec Danielle Oddera, on a sur scène toute l'âme et tout l'art de Jacques Brel. Les gens lui font une ovation chaque soir... en plein milieu du spectacle.»

Les autres interprètes de Ne me quitte pas, qui reprend la route après les Fêtes avant de revenir pour la grande finale de Montréal en lumière le 25 février, sont Bruno Pelletier, sur le CD avec La chanson des vieux amants, Paul Piché avec la très politique Jaurès, Pierre Flynn avec Le plat pays, que Brel chantait à la guitare, et Marc Hervieux avec La quête.

Et il va manquer quelque chose si Catherine Major n'est pas de la tournée finale...

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Le lancement du CD, avec trois prestations, sera diffusé en direct, demain soir à 18 h, sur le site de la La Fabrique culturelle.