De quelle façon les artistes réussissent-ils à atteindre leur public dans un contexte où l'offre musicale n'a jamais été aussi abondante? Des finalistes au gala de l'ADISQ répondent à cette question.

Tous les artistes que nous avons interrogés sont d'accord: sans l'internet, point de salut. Certains laissent à leur équipe le soin d'assurer leur présence sur le web et les réseaux sociaux, mais la plupart participent activement aux stratégies qui, espèrent-ils, vont leur permettre de se faire entendre, connaître et adopter.

«Communiquer avec ses fans, ça n'est vraiment pas plus compliqué que ça», répond Gabriel Malenfant de Radio Radio, pour qui le contenu web et la présence continue sur les réseaux sociaux font une grosse différence. Les ventes de disques sont en chute libre, mais c'est encore la musique qui attire le public aux spectacles et il faut trouver le moyen de faire entendre cette musique, quitte à diffuser un nouvel album sur Bandcamp ou à la radio traditionnelle une semaine avant sa sortie.

Les Dead Obies ont un public jeune qui, parce qu'il a grandi avec la pub, a appris à l'ignorer, estime Yes Mccan. «Les gens font leur propre marketing maintenant, alors s'ils partagent notre album sur Facebook, Twitter ou Instagram, c'est la meilleure publicité qui soit, parce que ça vient de tes amis, de tes contacts.»

Stratégies différentes

Mais tous ne s'entendent pas sur la façon de répandre la bonne nouvelle. Jimmy Hunt croit au streaming, mais estime que le fait d'offrir des chansons gratuites relève du simple marketing. Lisa LeBlanc, elle, a décidé de mettre toutes ses chansons sur YouTube avec une signature graphique qui leur est propre.

«Moi, j'ai toujours cru qu'il faut qu'on soit capable de t'entendre, explique la jeune chanteuse. Je peux comprendre la vieille mentalité qu'il faut payer pour la musique. Mais quand j'entends une toune malade en spectacle et que l'artiste n'a aucun Bandcamp, qu'il a un MySpace qui date d'une éternité et que, sur YouTube, il n'a que des vidéos poches filmées avec un iPhone, je ne peux malheureusement pas partager sa musique.»

Avec ses 300 000 abonnés sur Facebook et 110 000 sur Twitter, Marie-Mai n'a pas de difficulté à communiquer avec ses fans et à leur offrir à l'occasion une chanson à télécharger. «Mon public est jeune en bonne partie et il connaît très bien l'internet et les nouvelles stratégies, dit-elle. Par le passé, je jouais énormément à la radio, mais les formats radio changent un peu et je sens que mes fans écoutent ma musique sur YouTube. C'est important pour moi de leur offrir de beaux vidéoclips, de les gâter.»

Misteur Valaire aime bien sortir ses pièces au compte-gouttes et les partager avec ses fans par un lien SoundCloud sur Facebook, Twitter et autres Instagram. «Sortir des tounes à l'unité, ça a beaucoup plus d'impact que de mettre la chanson sur un album, estime Luis Clavis. À cause de la façon dont les gens consomment en ce moment, les trois quarts des tounes que tu mets sur un album vont se perdre dans un tourbillon de musique.»

Gratuité ou pas?

La gratuité est au coeur de la réflexion de nombreux jeunes artistes. «Si tu ne peux pas acheter mon album, je vais te le donner ou je vais te donner la possibilité de l'écouter gratuitement, affirme Yves Mccan des Dead Obies. L'acheter, ça devrait être un choix: je ne pense pas qu'on devrait forcer le consommateur à payer ce produit-là même si je dois gagner ma vie. C'est peut-être mon petit côté anarchiste, mais je me dis que si on responsabilise les gens, ils vont faire les bons choix.»

Alexandre Désilets a testé à peu près toutes les stratégies, y compris l'écoute en continu sur Bandcamp et les chansons gratuites. Il a beaucoup misé sur une présence sur YouTube, mais quand on lui a offert de la rentabiliser par de la publicité, il s'est rendu compte que cette rétribution irait principalement dans les poches de Sélect, la maison qui distribue son disque.

«C'est énormément d'investissement de temps, d'argent et d'énergie pour garder un flot continu de trucs qu'on finit la plupart du temps par donner plutôt que de le vendre, constate-t-il aujourd'hui. C'est un puits sans fond dont on peut difficilement calculer les retours. Tu te fais un fanbase, mais aussitôt que tu arrêtes, tu es oublié très rapidement.»

Le téléchargement de chansons à la pièce a également un effet pervers, estime Désilets: «Souvent, les gens connaissent ta toune, mais ils ne savent même pas qui est Alexandre Désilets. C'est vraiment la jungle, le Far West.»

Il n'est guère plus optimiste quand il entrevoit l'arrivée d'un géant du streaming comme Spotify: «Je ne sens pas de volonté de la part de l'ADISQ de nous appuyer, de mettre de la pression et de faire bouger les choses. Avec le marché qu'on a au Québec, ce n'est pas vrai qu'il va y avoir assez d'écoute pour qu'on puisse tirer profit d'un truc comme Spotify. Les gouvernements ne nous aident pas non plus. Les artistes passent pour des gratteux de guitare et des chialeux quand on dit que les distributeurs internet et ceux qui vendent des iPhone et des iPad devraient penser à une redistribution des revenus aux gens qui fournissent le contenu. C'est comme si on voulait imposer une taxe alors qu'on essaie seulement de garder la tête hors de l'eau dans des rapides.»

Heureusement, ajoute-t-il, il y a encore quelques émissions de télé comme Belle et bum et les radios recommencent à faire jouer du québécois. «Parce que ce n'est pas vrai qu'on fait notre argent avec les shows, avec le téléchargement ou avec les diffuseurs web.»