On a annoncé la semaine dernière la fermeture imminente (à la fin du mois de juillet) du magasin de disques Archambault de la rue Saint-Jean, à Québec, pour des raisons de «viabilité», selon Québecor.

C'est une triste nouvelle pour le Vieux-Québec, qui perd une institution vieille de 42 ans. C'est une triste nouvelle pour les gens de la Vieille Capitale, qui perdent un repère culturel. Et c'est une triste nouvelle pour votre serviteur, qui a travaillé dans ce commerce pendant cinq ans, dans sa jeune vingtaine.

C'était au tournant des années 90. Dans ce temps-là, le magasin s'appelait Musique d'Auteuil, rapport à la rue où il avait été ouvert en 1972, avant de déménager au 1095, rue Saint-Jean.

À cette époque, ce n'était déjà plus le petit disquaire spécialisé des débuts. Le magasin avait grandi. Mais ce n'était pas encore le monstre qu'il est devenu par la suite, après avoir été racheté par la chaîne Archambault.

Au rez-de-chaussée, il y avait la musique pop, la chanson francophone et le jazz. Sur la mezzanine, au premier étage, il y avait le classique. Aucune cloison pour séparer les deux mondes - ou plutôt, les deux «ondes».

Les deux étages s'ignoraient autant que possible. Mais une guerre des nerfs sévissait en sourdine. Quand la musique était trop forte en bas, les gars d'en haut «crinquaient» la leur, idéalement du Wagner.

Cette joyeuse cacophonie pouvait rendre dingue, surtout quand on était affecté à la caisse, qui se trouvait très exactement à la jonction des deux univers. Quand, par miracle, le rock d'en bas et le classique d'en haut se mariaient parfaitement, on vivait un moment de grâce. Mais ça n'arrivait pas souvent!

À cette époque, Mitsou venait de lancer son premier disque. Au rez-de-chaussée, on écoutait Bye-bye mon cowboy en boucle, et assez fort merci.

Les gars du classique détestaient Mitsou. Un jour, on a voulu faire jouer son album et on s'est rendu compte que le vinyle avait été saboté. Quelqu'un avait fait fondre les sillons de Bye-bye mon cowboy. Les gars du classique ont toujours nié le crime, mais moi, je reste convaincu que c'était eux. Hein, Pierre Filteau?

De toute façon, le problème ne s'est bientôt plus posé puisque, à un moment donné, le CD a remplacé le vinyle. La transition s'est d'abord faite discrètement, puis de plus en plus sauvagement. La section microsillons, jadis si glorieuse, a fini par être réduite à deux bacs, puis finalement à zéro.

Crucifié par Jean Leloup

Ce fut une grosse période de changement pour Musique d'Auteuil. Le disquaire avait été racheté par Archambault en 1987. Au début des années 90 - le début des années CD -, le magasin a doublé sa superficie en reprenant les locaux inoccupés du troisième étage, un ancien théâtre, si je me souviens bien.

Du coup, le classique s'est retrouvé tout en haut, le jazz au deuxième, le rock au premier et le francophone, au rez-de-chaussée. Le nombre d'employés a triplé. Une nouvelle gang est arrivée. Aux Alain, Éric, Jean-Philippe, Sonny, Michel et Stéphane se sont ajoutés Julie, Thierry, Peter, Christiane, Alexandre, Bernard et Josée. Musique d'Auteuil a changé son nom pour Archambault et votre serviteur s'est fabriqué un rideau de douche avec les sacs jaunes de l'ancien commerce.

L'esprit de famille est quand même resté intact. On s'amusait ferme, et encore plus lorsque notre belle gérante, Yolande, était absente. Le soir, on se tapait L'album du peuple de François Pérusse à l'endroit et à l'envers. On riait tellement qu'on oubliait de servir les clients.

Une autre fois, j'ai fait jouer la toune 1990, de Jean Leloup, à tue-tête dans le magasin, en accélérant le tempo. C'était en plein après-midi durant le Festival d'été. L'endroit était bondé. J'étais encore en train de gosser avec le pitch quand Jean Leloup a surgi de nulle part pour me donner un char de marde devant tout le monde. «Hey! C'est ma toune, ostie!» J'ai bafouillé. J'aurais voulu entrer dans le plancher. Jean Leloup était mon idole et, tout d'un coup, il me crucifiait en public. J'ai trouvé qu'il manquait d'humour.

Beaucoup de vedettes sont entrées chez Musique d'Auteuil. Parfois en catimini, comme la rockeuse Alannah Myles avec son chapeau de poil un dimanche soir avant la fermeture, le guitariste de jazz français Elek Baksik, qui avait acheté ses propres disques, ou Simon Brouillard, l'ancien chanteur des Lutins, agréablement surpris d'avoir été reconnu.

Je me souviens aussi du groupe français Indochine, venu faire la promo de son nouvel album, Le baiser, sorti en 1990.

Je détestais profondément Indochine. Ça me donnait de l'urticaire. Des boutons gros comme ça. Mais on avait été obligés de se faire photographier avec eux, pour bien montrer qu'on appuyait leur cause.

Pour éviter d'être vu en leur compagnie, je me suis caché autant que possible derrière mon ami Éric, en essayant de me fondre au mur de disques dans le fond. J'ai toujours gardé cette photo, malgré Indochine. Aujourd'hui, ça me fait bien rire.

Et puis Alain...

Ces années ne reviendront plus. Ni pour moi, qui ai acquis chez d'Auteuil une grande partie de mes connaissances musicales, y compris - eh oui - le classique (merci Yves, au deuxième!). Ni pour les mélomanes de Québec-ville, qui devront désormais se replier sur (l'excellent) Sillons, rue Cartier. Ni pour les 18 employés qui travaillaient encore au magasin.

Et encore moins pour mon vieil ami Alain, vétéran de la première heure, qui perdra son boulot après 28 ans de bons et loyaux services.

Alain, si tu m'as appris une chose, c'est de ne pas être trop snob avec la musique. Et qu'il faut donner la chance à tous les disques, même si parfois la pochette n'annonce rien de bon.

Salut à toi.

Salut, Musique d'Auteuil!