Parmi les figures marquantes du Festival international de jazz de Montréal où il s'est produit à maintes reprises, le contrebassiste Charlie Haden est mort vendredi, au terme d'une longue maladie. Il avait 76 ans. La triste nouvelle est venue par son étiquette de disques ECM, reprise entre autres par les magazines Jazz Times et Variety, le quotidien USA Today et le réseau NPR.

Enfant d'une famille d'artistes de style country & western (The Haden Family avait son émission nationale à la radio), le musicien originaire de l'Iowa avait décidé de faire sa vie dans le jazz après avoir entendu Charlie Parker. On peut comprendre le choc.

Installé à Los Angeles au milieu des années 50, il s'était inscrit au Westlake College of Modern Music, ce qui le mena à jouer auprès de musiciens de jazz tel le pianiste Hampton Hawes, les saxophonistes Art Pepper et Dexter Gordon. Il se fit connaître également en tant que sideman du pianiste montréalais Paul Bley, mais surtout au sein du quartette mené par le saxophoniste Ornette Coleman, avec le batteur Billy Higgins (remplacé ensuite par Ed Blackwell) et le trompettiste/cornettiste Don Cherry. Fin des années 50, il était de cette aventure free jazz mise de l'avant par Ornette et participait à certains de ses enregistrements historiques: The Shape of Jazz To Come, Change of the Century, This Is Our Music, Free Jazz...

Fin des années 60, ses convictions progressistes le menèrent à fonder le Liberation Music Orchestra avec des musiciens hautement créatifs, dont l'organiste, claviériste et arrangeur Carla Bley - en juillet 1989, cet ensemble reconstitué avait donné un des plus beaux concerts jamais présentés au FIJM. Charlie Haden était alors le premier musicien en résidence de la prestigieuse série Invitation du festival montréalais.

Le contrebassiste a fait partie du superbe «quartette américain» de Keith Jarrett,  aux côtés du saxophoniste Dewey Redman (le défunt père de Joshua) et du regretté batteur Paul Motian. Après avoir passé un moment sur la Côte Est, il repartit s'installer en Californie pour fonder le Quartet West avec le saxophoniste Ernie Watts, le pianiste Alan Broadbent et feu le batteur Larance Marable. Cet ensemble fut son véhicule principal jusqu'à une période récente.

Charlie Haden a remporté trois trophées Grammy, dont un dans la catégorie «best jazz instrumental performance», remporté de concert avec le guitariste Pat Metheny pour  Beyond the Missouri Sky, album culte s'il en est. En l'an 2000, le Festival International de jazz de Montréal lui avait décerné sa plus haute distinction, le Prix Miles-Davis.

Au crépuscule de sa longue et fructueuse carrière, cependant, il donnait alors l'impression d'être devenu un étrange musicien. Capricieux et hypocondriaque sur scène, systématiquement isolé de ses collègues dans une structure de plexiglas, afin de se protéger de fréquences qu'il jugeait néfastes. En 2009, le concert de son projet country et bluegrass Charlie Haden Family & Friends (avec son fils Josh et de ses filles Tanya, Petra et Rachel) n'avait pas été particulièrement réussi, ses fans présents s'en souviennent.

Mais ils se souviendront surtout d'un contrebassiste visionnaire qui fut parmi les équipées cruciales du jazz contemporain. Malgré une technique qui n'avait rien de mirobolante, la grande musicalité de Charlie Haden, son ouverture d'esprit, son magnétisme et sa direction esthétique l'ont rendu hautement attractif. Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'il travaillât auprès des plus grands. Et qu'il fut parmi les plus grands.

Directeur artistique et cofondateur du FIJM, André Ménard parle d'un «homme fragile, sensible, parfois difficile».

«Son coeur énorme et triste embrassait large. La vie, son art, sa famille. Tout. Ses nombreuses convictions musicales et esthétiques l'ont fait cheminer avec passion du free au cool en passant par le jazz standard, le gospel, les hymnes de libération... et bien plus! Je garde de lui des souvenirs impérissables... L'appel d'adieu qu'il m'a fait il y a quelques semaines résonnera toujours en moi. Il a fait grandir l'amour de toute la musique chez des légions de mélomanes et nous laisse tous le coeur lourd. Paix à lui, paix à mon magnifique ami.»