Élizabeth Blouin-Brathwaite avait 4 ans la première fois qu'elle a chanté en public. Depuis, elle n'a jamais cessé de chanter, mais à l'ombre des autres, comme choriste. Or, voilà qu'à 28 ans, la belle a subitement soif de lumière comme en témoigne Élizabeth +, le titre de son premier solo collectif, qu'elle présente jeudi au National dans le cadre de Montréal en lumière.

Sur la pochette du disque, Élizabeth Blouin-Brathwaite chante un monde merveilleux, elle a 11 ans, toutes ses dents, des boucles vaporeuses et un sourire timide de petite fille sage. C'était en 1997, et la fille de Johanne Blouin et de Normand Brathwaite était déjà une star. On l'avait vue chanter en public la première fois avec sa mère dès l'âge de 4 ans. Et maintenant, à 11 ans, elle était devenue une vraie petite pro, avait enregistré deux disques sur l'étiquette de Guy Cloutier et connaissait auprès des enfants un succès comparable à celui de Nathalie Simard.

Pourtant, un an plus tard, de son propre chef, la petite a demandé à ses parents de tout arrêter. «Je voulais comprendre ce que je faisais et aller à l'école pour apprendre la musique», dit Élizabeth dans un salon de thé directement en face du National, où elle s'apprête à lancer sa carrière de chanteuse dans un show solo intitulé Élizabeth +. L'évènement aura lieu jeudi dans le cadre de Montréal en lumière.

En attendant, Élizabeth Blouin-Brathwaite n'a plus 11 ans, mais bientôt 28 ans, une chevelure d'un rouge apocalyptique, une voix soyeuse, une dégaine nonchalante comme si elle avait tout le temps du monde et un désir ardent de changement. Normand Brathwaite a déjà dit de sa fille qu'elle était une vieille âme. Et assise en face d'elle, je vois un peu ce qu'il a perçu en elle: une espèce de force tranquille et langoureuse mêlée à ce qui ressemble à une vaste expérience de la vie.

Après avoir terminé ses études secondaires à Pierre-Laporte en concentration piano, Élizabeth aurait pu amorcer une carrière solo de chanteuse. Elle avait le talent, la voix, les contacts. Elle a préféré devenir choriste. Pendant plus d'une décennie, elle a chanté dans l'ombre des autres, en retrait de la scène, en réserve de la République, en somme. À l'occasion, il lui arrivait d'être invitée à l'avant de la scène par Lulu Hughes, Gregory Charles ou Garou, qu'elle accompagnait un peu partout en tournée. Le temps d'une chanson ou d'un duo, Élizabeth se retrouvait baignée de lumière, les yeux du public rivés sur ses décolletés plongeants, ses tenues moulantes, sexy, provocantes, pas toujours de bon goût, diront certains.

Élizabeth vivait son petit moment de gloire sur scène, puis reprenait aussitôt sa place à l'ombre. Elle s'y sentait bien, protégée, pas trop exposée. Elle donnait l'apparence de vouloir être choriste à vie, mais tout cela est sur le point de changer.

Élizabeth a pris son dernier contrat de choriste il y a un an. Depuis, elle prépare la suite. Elle affirme que 27 ans a été un moment charnière pour elle. 27 ans l'a été aussi pour Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain, Brian Jones et Amy Winehouse, tous morts à cet âge-là. Élizabeth, elle, a choisi de vivre et de foncer.

«Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, raconte-t-elle, mais j'ai complètement changé d'attitude. Avant, le paraître comptait beaucoup pour moi. Je voulais être trop belle, trop maquillée, trop parfaite. Mais après avoir eu 27 ans, j'ai décidé de passer moins de temps devant le miroir et plus de temps avec mes congas, car entre-temps, je me suis mise à jouer des congas.»

À l'entendre, ce sont ces tambours allongés qui sont la cause de sa métamorphose. Elle raconte qu'elle jammait un soir dans le sous-sol de Pascal Dufour, un ex-membre des Respectables, avec qui elle faisait des duos dans les bars. Dufour lui a demandé de s'amuser avec ses congas le temps d'une chanson. Élizabeth s'est mise à chanter tout en battant la mesure sur les tambours. Ce fut le déclic, la découverte, la révélation, dit-elle avec des étoiles dans les yeux.

Va pour la révélation, mais c'est à se demander si Dufour ne lui a pas tout bonnement donné la permission de s'approprier un instrument qui appartenait avant tout à papa Brathwaite, le joueur de conga en chef de Belle et Bum, mais aussi à sa bonne amie, la percussionniste Mélissa Lavergne. Élizabeth prétend que les percussions ne l'avaient jamais vraiment attirée avant ce moment-là, mais que depuis, ça fait partie prenante de sa vie.

On devine qu'Élizabeth est une sorte de tripeuse toujours à la recherche d'un nouveau trip, d'un nouveau son, d'une nouvelle religion musicale. Elle raconte qu'elle a longtemps été heureuse et bien dans sa peau comme choriste: «Ce qui m'importait, c'était de gagner le respect des musiciens et de faire mes preuves en tant que musicienne. Le métier, je l'ai appris de l'arrière-scène. J'ai vu beaucoup d'artistes faire des erreurs, ne pas être vrais, jouer des games. J'ai pris beaucoup de notes», laisse-t-elle tomber avec un sourire sibyllin.

Relire ses notes ne l'a pas rendue méfiante face au métier. Au contraire. Élizabeth a plus que jamais envie de déployer ses ailes sur scène et de montrer toute l'étendue de son talent. Sauf que son premier réflexe, en concevant ce premier show pour le National, aura été de demander à sa mère, son père, ses amies Mélissa Lavergne, Eva Avila, Andrée Watters, Lulu Hughes et son complice Pascal Dufour de monter sur scène avec elle comme si elle ne se sentait pas complètement en mesure d'assumer la soirée toute seule.

Ce n'est pourtant pas ainsi que la chanteuse formule les choses: «En invitant tous ces gens, dit-elle, je voulais recréer une grosse fête de famille sur scène dans un esprit de partage et d'amitié. Mais c'est aussi ma façon à moi de remercier tous ces gens qui m'ont encouragée, qui m'ont stimulée, inspirée et qui ont fait de moi celle que je suis devenue.»

Une fois la glace cassée au National, Élizabeth entend partir en tournée à travers le Québec, mais sans sa tribu. Elle se produira en formation réduite, mais partout où elle passera, fidèle aux enseignements de son père, elle invitera un artiste local sur scène avec elle afin de lui donner de la visibilité. «J'ai plein d'amis autour de moi qui sont très talentueux et qui travaillent très fort, mais qui n'ont pas la chance de monter sur scène. Si je peux les aider, je vais le faire.»

Avant de filer à la répétition de Belle et bum où elle travaille encore à l'occasion comme choriste, Élizabeth revient une dernière fois sur le fait que les apparences n'ont plus d'importance pour elle, qu'elle ne se maquille plus, passe le plus clair de son temps dans des vêtements mous et informes. Ce qui m'importe, dit-elle, c'est de mettre toutes mes énergies à me créer une identité artistique et à devenir une artiste.»

C'est le début d'une grande aventure pour Élizabeth Blouin-Brathwaite. Jusqu'où cette aventure la conduira-t-elle? Élizabeth s'en fout. L'important pour l'instant, c'est d'y aller.

CINQ CHANSONS POUR ÉLIZABETH

1) Love's In Need of Love Today de Stevie Wonder, qui lui rappelle les dimanches avec son père à la maison.

2) What's Going On? de Marvin Gaye, la chanson qu'elle a le plus souvent interprétée.

3) S'il fallait qu'un jour de Marjo, parce que c'est la chanson que ses parents ont accepté de chanter ensemble à la télé après leur divorce et un silence de trois ans.

4) You Are So Beautiful de Joe Cocker, parce que c'est une chanson magnifique.

5) My Valentine de Paul McCartney. Si jamais un jour elle se marie, elle veut entendre cette chanson à son mariage.