Samedi soir, 20h30, le Métropolis ne pouvait contenir davantage. Les admirateurs de Neurosis et Godspeed You! Black Emperor peuplaient l'amphithéâtre jusque dans ses plus infimes recoins. Partout, la densité était telle qu'on avait du mal à y prendre des notes! Et pour cause.

Depuis des lustres, le groupe post-métal Neurosis jouit d'un culte fervent, et l'aura de Godspeed rayonne sur la terre entière pour les raisons qu'on sait: retour triomphal après une (très longue) pause, concerts à l'Olympia au printemps 2011, nouvel album en 2012, attribution du prix Polaris en 2013 (Allelujah! Don't Bend! Ascend!), et voilà enfin le concert. Inutile de souligner que cette paire de soirées était plus qu'attendue - même programme dimanche, même lieu, même affluence.

Pour le premier des deux soirs au programme, la formation montréalaise a choisi de piger dans sa discographie et plus encore: Hope Drone, subtil bourdon post-rock servi en guise d'introduction, puis Mladic (du dernier album), Gathering Storm (de l'opus Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven), Behemoth (véritable fresque jouée en tournée depuis un moment), The Sad Mafioso (de F A ∞).

La vision anti-star de GY!BE (ou, tout simplement, la courtoisie de ses membres) explique l'inversion du programme de samedi: le groupe le plus attendu était le premier à se produire, ce fut le contraire dimanche. Quant aux conditions... La qualité de la sono était variable selon l'endroit où l'on se trouvait - vers le bar à l'entrée, par exemple, il fallait se résoudre à l'irrespect de certains «mélomanes» venus se payer un bruit de fond et causer à pleine tête. Idem pour la visibilité. En bref, vraiment pas idéal.

Il est alors permis de suggérer que la musique de Godspeed s'apparente au concert plutôt qu'à l'expérience rock telle qu'on se l'imagine. Même les cimes de saturation y sont propices à une écoute attentive, plus proche de la musique sérieuse, qu'aux comportements typiques des grands rituels de musique populaire. Mais... l'économie et les moeurs de la musique rock étant ce qu'elles sont...

Quoi qu'il en soit, il y avait bien assez de matière pour nourrir les admirateurs. Les projections de Karl Lemieux (pellicules modifiées en direct, déferlante de zones désertiques, industrielles, sociales, graphiques, quelques carrés rouges au programme), l'anonymat scénique des instrumentistes (plus ou moins dissimulés dans l'ombre) favorisait une écoute active malgré les irritants. Sept musiciens sur scène, instrumentistes polyvalents, maîtres des jeux de saturation, interprètes exclusifs de leur propre langage. À l'évidence, les musiciens de GY!BE constituent d'abord un collectif de composition et non de haute performance instrumentale.

Variations d'intensité au programme, variations de rythmes, arrangements uniques. Raffinement de cordes frottées et grattées, usage circonspect du violon, de la contrebasse, de la basse et des guitares. Judicieuses superpositions de séquences préenregistrées et remodelées, rythmes rocks assénés au moment opportun. Chez Godspeed, la simplicité des rythmes, l'épuration des lignes mélodiques, la douceur des modulations harmoniques sont autant de balises permettant le passage aux véritables enjeux de création: distorsion orchestrale, recherche harmonique et amalgame d'influences (musiques contemporaines écrites, musiques celtiques, folk, drone, métal, etc.) voilà autant d'éléments constitutifs d'un post-rock si influent.

Les admirateurs de Neurosis furent ensuite servis: plus d'une dizaine de titres au programme, dont quelques chansons neuves - At The Well, We all Rage in Gold, My Heart of Delivrance, Bleeding the Pigs, tirées de leur plus récent album Honor Found in Decay. Il n'était pas trop pour découvrir sur scène ce groupe post-métal de la Californie septentrionale, véritable institution de la fréquence acidulée.

Lentes progressions menant à l'explosion des guitares et des grommellements typique de l'idiome (Scott Kelly et Steve Von Till), enchaînement de séquences planantes, amalgames intéressants de sons de synthèse, claviers et cordes électriques. Sans conteste, Neurosis a une façon de faire, et jouit d'un culte parfaitement justifié.