Lady Gaga vient de lancer son troisième album et tente du coup d'élever son personnage en lui conférant une dimension plus artistique, plus conceptuelle. D'où  le titre Artpop, dont l'objet est de plonger la pop dans l'art avec un grand A. La superstar réussira-t-elle son pari?

ART GAGAÏSTE

Âgée de 27 ans, Stefani Germanotta vise très haut pour mener à bien son nouveau cycle de création. Lady Gaga, le personnage qu'elle a mis au monde, aspire désormais à investir l'art contemporain, démarche qu'elle qualifie de reverse warholian formula. En cela, elle croit que sa pop peut investir le monde de l'art contemporain, contrairement à ce que le célébrissime Andy Warhol a mis de l'avant en choisissant la pop culture comme sujet de l'art contemporain.

Ainsi, pop art devient art pop que préconise le mouvement gagaïste. Après avoir consulté son site officiel et se différents profils biographiques, voyons comment tout cela s'articule.



Jeff Koons


La chanteuse a requis les services de l'Américain Jeff Koons, superstar de l'art contemporain, afin de créer la pochette de l'album Artpop. Ce dernier dit avoir voulu y représenter Gaga telle une sculpture. Perruque blonde, les mains recouvrant ses seins, globe miroitant devant le sexe. Koons a entouré son sujet de peintures célèbres et savamment déconstruites: La naissance de Venus, de Boticelli (1445-1510) et Apollon et Daphné, de Bernini (1598-1680).

Ainsi l'artiste visuel étoffe son sujet en s'appropriant la représentation de ces mythes. Dieu du chant, de la musique et de la poésie, Apollon est à la poursuite de la nymphe Daphné qui se transforme en arbre, ce qui a pour conséquence de transcender l'art d'Apollon. Quant à Vénus, elle est la déesse de l'amour, de la séduction et de la beauté. Nul besoin de faire un (autre) dessin pour expliquer où Jeff Koons voulait en venir.



Haus of Gaga


À la conquête des sphères les plus pointues de l'art, Lady Gaga a fondé en 2008 Haus of Gaga, atelier de créateurs qui se veut une actualisation de la fameuse Factory, atelier d'artistes new-yorkais initié par Andy Warhol - où se produisait notamment le Velvet Underground dont Warhol était le manager. À la différence que toute initiative de Haus of Gaga part du personnage: maquillages, perruques, costumes, concepts scénographiques, vidéos.

Comme par hasard, les créations récentes de cet atelier, dont le «haus» s'inspire de l'école du bauhaus (d'où l'expression Haus of Gaga), n'ont pas grand-chose à voir avec la pop culture. Pour s'en rendre compte, on n'a qu'à visionner les documents audiovisuels réalisés par les artistes hollandais Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin. Au programme, transformation de Gaga en cyborg  (masques de protection, prothèses, fictions chirurgicales), commentaires philosophiques, autodérision.



Application Artpop


Dans cette même optique d'élévation, une application Artpop sera lancée dans un avenir proche. Selon les dires de la principale intéressée (interviewée sur MTV), ce logiciel interactif permettra aux fans de faire le lien entre toutes les dimensions gagaïstes: musique, art, mode et nouvelles technologies. Pour ajouter à la légitimation, un film documentaire est actuellement réalisé par le photographe et cinéaste Terry Richardson.



Robert Wilson


La superstar fait aussi l'objet d'une vidéo d'art créée par le très réputé metteur en scène et plasticien américain Robert Wilson. L'oeuvre est actuellement présentée au Louvres à Paris, dans le cadre de l'exposition Living Rooms. Ici, toutefois, on parle d'une approche warholienne sans inversion!



Marina Abramovic


Autres signes de cette inscription souhaitée dans la culture contemporaine avec un grand C, Gaga a passé un moment auprès de la performer serbe Marina Abramovic afin d'y développer sa conscience et son endurance sur scène. Ce séjour en forêt a d'ailleurs été filmé et rendu public, on peut y contempler la silhouette sculpturale de Gaga... évidemment à poil. Nudité esthétique, il va sans dire.



POP GAGAÏSTE


Au Guardian, Stefani Germanotta confiait récemment s'être postée devant un miroir, avoir laissé tomber ses déguisements et apparats. Et s'être dit «OK, maintenant tu dois leur montrer que tu peux être brillante sans tout ça.»



Brillante dans le plus simple appareil?


Pour fédérer au maximum, en tout cas, Gaga ne fait pas dans la dentelle. Afin de faire mousser la venue de son nouvel album, elle a récemment offert un striptease intégral à ses fans venus la voir dans un club londonien. La chanson Venus fut le prétexte de cet effeuillage trrrès viral, c'est-à-dire qu'il a fait illico le tour de la planète. Force est de déduire que l'artiste peut fréquenter la vulgarité, et même rendre aux frontières de la porno soft.



Également aux frontières du cosmos!


Pour ajouter à sa visibilité, la superdiva envisage chanter à bord d'un vaisseau Virgin Galactic - information confirmée par le US Weekly. Le vol sera effectué à l'occasion du festival high-tech Zero G Colony, prévu en 2015 au Nouveau-Mexique. Rien de moins.

Pour ses détracteurs, les hautes aspirations artistiques de Lady Gaga ne font que nourrir son désir de dominer la pop culture de sa génération, alimenter l'attention freak qu'elle est. Lorsqu'il est question de mise en marché et de vente, le cirque gagaïste a tôt fait de s'imposer bien au-delà de ses objectifs «sérieux».

Inutile d'ajouter que sa musique n'a rien de très complexe. S'inspirant des déclinaisons les plus rugueuses du R&B et de l'eurodance, elle propose cette fois une synthpop agressive, aérobique, très physique... et plutôt prévisible. La proposition d'Artpop, en somme, est très... pop. Chansons construites dans les règles de l'art (...), avec toutefois des enrobages audacieux pour une artiste d'un tel rayonnement. Chose certaine, on est loin, très loin de toutes les avant-gardes.

Madeon (Hugo Leclerq), Zedd, Red One, DJ White Shadow, Nick Monson, Dino Zisis, Rick Rubin et autres David Guetta concourent à donner du relief à cet Artpop, dont les rimes évoquent entre autres les plaisirs du corps, l'hédonisme sexuel, l'obsession d'être contemplée et applaudie, la condition d'une jeune femme riche, arrogante et célèbre.



À l'évidence, Gaga n'a pas encore fait son gros album depuis sa propulsion en 2008.

Et... Stefani Germanotta ne pourra encore éviter la comparaison avec Louise Ciccone. Elle a beau en esquiver désormais la rivalité, se ficher de quelque réprobation de son aînée, Lady Gaga est la digne héritière de Madonna. D'abord pour son ambition sans bornes à laisser une réelle marque artistique, bien au-delà de sa domination sur les palmarès et dans les arénas.

Tant de caractéristiques unissent ces reines de la pop, qu'elles le veuillent ou non. Madonna fut la première superstar de notre époque à mener elle-même son plan de match. À choisir ses réalisateurs avec un flair et un goût hors du commun. À emprunter au performance art de l'avant-garde pour en faire un... art pop. À réinventer le showbusiness américain, en plongeant la danse et les grands acquis de Broadway dans un environnement parfaitement adapté à la culture pop.

Que fait Lady Gaga? Elle poursuit le travail de son aînée. À la fois vulgaire et raffinée, tête chercheuse et star, elle se fabrique elle-même et crée un feu roulant de pop culture: innovante, provocatrice, parfaitement adaptée au contexte d'aujourd'hui. Son personnage (qu'elle n'hésite pas à qualifier de bitch et que l'on nomme Mother Monster) explore les thèmes de l'individualisme exacerbé, de l'atomisation sociale, de l'exhibitionnisme, du narcissisme, de l'égocentrisme, du pouvoir de l'argent, de la sexualité débridée toutes orientations confondues, de l'hédonisme, des drogues récréatives, des jeux de rôles.

Miroir devant lequel des millions de fans se sont reconnus. Qu'en sera-t-il cette fois?

Photo Interscope Records

Le nouvel album de Lady Gaga, Artpop