Avant de résumer ce qui se produit trois soirs d'affilée depuis vendredi à l'église Saint-Jean-Baptiste, commençons par ce constat: le Montréalais Patrick Watson termine le premier cycle de sa carrière d'auteur, compositeur, interprète, arrangeur, leader.

Long, fructueux, visionnaire, associé à ladite culture indie, ce cycle chansonnier  fut marqué par l'appropriation de références dont il ne pourra peut-être plus faire usage aussi systématiquement qu'il ne l'a fait jusqu'à maintenant. Raison de plus pour finir en grande, avec l'orchestre Cinéma L'Amour, soit une soixantaine de musiciens auxquels s'ajoutent une quarantaine de choristes... et trois églises remplies à ras bord.

Le public a tôt fait d'être propulsé dans l'espace : on interprète Neptune le mystique,  septième mouvement de Planètes, fameuse suite de Gustav Holst. La facture impressionniste sied parfaitement à ce contexte aussi propice à l'évocation de Ravel, Debussy, Satie, etc.  Au-delà de ces grandes musiques imaginées à l'aube de la modernité, les références «sérieuses» du chanteur montréalais se trouvent aussi dans le minimalisme américain (Steve Reich et Philip Glass), dans la grande musique destinée au cinéma (Ennio Morricone), chez certains mystiques de la musique contemporaine (Henryk Górecki, Arvo Pärt) ou encore dans l'indétermination bruitiste.

Ces influences, inutile de l'ajouter, sont évoquées dans les orchestrations de Jules Buckley, chef d'orchestre, aussi arrangeur et compositeur. La chose, d'ailleurs, avait déjà été présentée en juillet dernier à Paris par l'Orchestre National d'Île-de-France, sous la direction du maestro européen. L'Orchestre symphonique de Québec a aussi repris ce projet cet automne: dirigé par Stéphane Laforest, ce programme était plus restreint que celui présenté à Montréal - précise la gérance du chanteur.

Au tour de l'Orchestre Cinéma L'Amour, réuni par la violoniste Mélanie Vaugeois et son associé Dominique Perron : musiciens et choristes de tous orchestres, toutes chorales et tous horizons montréalais, avec les avantages et désavantages d'une entreprise aussi considérable qu'éphémère. Cela étant, Pat Watson était rigoureusement préparé à cette opération d'envergure mais aussi capable de rester léger, et même de s'amuser ferme avec son public.

Il s'installe au piano, entonne Lighthouse. Amorce calme et sereine, suivie d'une hausse de tension. Les cordes électriques se mettent de la partie, pedal steel,  percussions, enchevêtrements classiques et populaires. Harnachés par les esprits de la musique, nous sommes à l'écoute de Black Winds.

Après avoir confié à l'auditoire qu'il voulait présenter un tel projet depuis longtemps à Montréal, il poursuit avec une relecture très debussyenne de Wooden Arms, suivie de Beijing assortie d'une citation de Ravel -  extrait du Quatuor à cordes en fa majeur, deuxième mouvement . Un élan choral se confond alors avec les cris de la foule, l'effet est saisissant. Puis Man Like You se voit réarrangée avec introduction à la guitare, chanteur debout, références plus hollywoodiennes côté symphonique - on pense entre autres à John Williams.

Un bivouac s'organise au centre de la scène, le band entoure Patrick Watson, les interventions du grand orchestre sont plus discrètes. Into Giants pour guitares acoustiques et voix, pour un violon sur le pont de la chanson, pour battement de mains, fans amusés et réjouis, avec finale au piano, voix de tête et intervention des cuivres.

S'ensuit Hommage, séquence sans paroles renforcée par une orchestration plus considérable avec  une finale aussi audacieuse qu'atonale. Transition tout indiquée pour la prochaine intervention de Pat Watson: il empoigne un mégaphone et se transforme en Travelling Salesman, pendant que la guitare électrique de Joe Grass ne révèle un discours anguleux, prélude au décollage de l'orchestre entier.

Puis la facture «folk rock de chambre» de Morning Sheet se transforme en space rock symphonique, accessible et soyeux. Sleeping Beauty réinjecte de l'impressionnisme à l'affaire, très beaux compléments orchestraux. Watson enchaîne alors une version morriconesque de la pièce-titre de son dernier album, Adventures in Your Own Backyard. Voix féminines, chant choral et trompettes à l'appui.

La scène s'illumine pendant  l'exécution de Where the Wild Things Are, avec en prime un effet rigolo de ballons qui se dégonflent pendant que l'orchestre pompe une polka symphonique, non sans rappeler Kurt Weill. On coiffe le tout de la ballade Noisy Sundays, qui met en relief guitare, pedal steel, choristes et une fulgurante montée dramatique qui prépare des rappels chaudement réclamés.

On a droit à  une version intime de Big Bird avant d'escalader les derniers pics: To Build A Home et Man Under the Sea, le tout coiffé d'un solo à l'orgue de l'église, signé François Lafontaine. Chauffés à bloc, les fans exigent un dernier rappel à celui qui les a convoqués: The Great Escape, seul au piano. Et bientôt seul avec ses proches collaborateurs afin de cogiter les bases d'un prochain cycle de création.