Ils ont grandi dans la banlieue sud du 450 en nourrissant des ambitions plus grandes que leur cadre de vie. Grâce au web, les six membres de Dead Obies ont chassé l'ennui avec les oeuvres de David Lynch et la musique underground. Des artistes comme Kurt Cobain et des films comme The Virgin Suicides de Sofia Coppola les ont aidés à comprendre le mal-être de leur adolescence.

À voir la file interminable qui s'éloignait du Cabaret du Mile End pour le lancement de son premier album, Montréal$ud, mercredi dernier, le message du groupe «post-rap» Dead Obies rejoint des milliers de jeunes. Les beats incendiaires de ses chansons embrasent des textes franglais qui font le portrait d'une jeune génération multiethnique et affranchie des vieux démons de la société québécoise.

L'arrivée des membres de Dead Obies, à peine âgés de 20 ans, vient brasser la cage culturelle québécoise au-delà de la musique. C'est la voix de six jeunes hommes autodidactes érudits du web qui ont rejeté le chemin qui se traçait devant eux. «En se rencontrant, on s'est rendu compte qu'on se sentait tous outcast dans nos groupes d'amis», indique VNCE, talentueux beatmaker du groupe.

«En banlieue, on est vite à part quand on ne fitte pas dans le moule. On ne peut pas errer la nuit comme en ville», ajoute Yes Mccan, qui a profondément détesté le modèle de son voisinage de la classe moyenne de Granby. «Passer son vendredi soir en famille pour regarder La fureur en mangeant de la poutine», caricature-t-il.

Le MC préférait se réfugier dans sa chambre pour écrire des nouvelles littéraires et inventer des cadavres exquis entre deux clavardages avec des filles sur MSN. «Je me sentais pas bien et je me retrouvais dans Kurt Cobain et Bérurier Noir. Une culture underground que j'ai découverte avec l'internet. Je me suis aussi beaucoup retrouvé dans la pièce Les voisins et dans La petite vie de Claude Meunier. C'est une critique très acérée du petit Québec.»

Complété de Snail Kid, 20some, O.G. BEAR et RCA, Dead Obies a des racines blanches du 450, mais aussi haïtiennes et jamaïcaines. Les jeunes rappeurs ont notamment fait connaissance lors des soirées WordUP! Battles.

Originaire de Sainte-Julie, le beatmaker VNCE a joué du saxophone et du violon avant d'acheter des machines et d'expérimenter des sons. «J'ai tout appris: enregistrer les voix, faire du mixage.»

Après avoir enregistré deux premiers EP maison, Dead Obies s'est hissé en finale du dernier concours des Francouvertes grâce à ses performances viscérales et explosives. Ce l'était tout autant mercredi au Cabaret du Mile End, où des centaines de spectateurs qui voulaient assister à ce spectacle gratuit ont été refoulés à la porte. De voir autant de jeunes de différents milieux et origines était rassurant pour l'industrie du disque. La preuve que Dead Obies répond à un besoin musical et générationnel criant.

Avec 17 chansons et 80 minutes de musique, difficile de croire que Dead Obies a enregistré son premier album officiel en seulement trois semaines. À la fin de l'été, le groupe s'est enfermé dans un chalet à Rouyn après avoir quémandé 10 000$ à sa maison de disques Bonsound.

«Le disque s'est fait dans l'urgence. Ça crée quelque chose de chamanique quand on a deux heures pour «reacher un verse» [réussir un refrain]. Et avec l'expérience d'enregistrement qu'on a acquise, nous sommes capables de bien saisir l'énergie», dit VNCE.

«Autrefois, la musique était la quintessence du moment qu'on ne pourra jamais rattraper. Nous, tout naît sur la scène, mais c'est cool d'avoir fait notre preuve en studio», ajoute Yes Mccan.

Le franglais

Les membres de Dead Obies doivent constamment justifier le langage franglais de leurs textes. En février dernier, le collaborateur du Devoir Christian Rioux a écrit: «Il faut être sourd pour ne pas sentir ce nouvel engouement suicidaire pour l'anglais qu'ont récemment exprimé, dans une langue déjà créolisée, les jeunes francophones du groupe montréalais Dead Obies.»

«Notre intention est de créer des chansons qui connectent avec notre époque, probablement grâce à ce même souci d'authenticité du discours populaire qui a poussé certains auteurs et cinéastes québécois à remplacer le français normatif par le joual à une époque où il fallait prendre un accent pour être entendu», rétorque Yes Mccan.

Montréal$ud raconte le saut de la banlieue ennuyeuse à la ville agitée, avec des références identitaires et religieuses. «C'est un album cinématographique et narratif. La première chose qu'on entend est une manifestation. On est dans le mécontentement et dans le trafic, puis on a imaginé une descente en plongée dans la ville comme dans le film Blue Velvet de David Lynch.»

Au-delà des mots, la combinaison des voix des six MC crée une musicalité de haute voltige technique. Quant aux beats, VNCE s'est inspiré de certains mots-clés: «postindustriel», «sous les ponts», «l'hiver» et «white noise». L'échantillonnage de cordes de la pièce-titre rappelle le thème musical de Requiem for a Dream. En introduction de la pièce Swish, VNCE a échantillonné l'entrevue d'une jeune Française qui affirme que le français parlé au Québec est un dialecte.

«Nous embrassons haut et fier le français», dit Yes Mccan. «On pourrait être juste un bon band, mais on a une parole sociale», conclut VNCE.

Post-RAP

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