Gabrielle, film de Louise Archambault, n'a pas fini de faire parler de lui. Sélectionné pour représenter le Canada aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film en langue étrangère, il a également remporté les Prix du public à Locarno et, la semaine dernière, à Namur. Derrière le succès de ce long métrage, on retrouve Les Muses, une école qui permet à des artistes handicapés d'exception d'envisager les arts de la scène non pas comme un simple loisir, mais comme un véritable métier.

Les premières notes du piano d'Hélène-Élise Blais retentissent dans la salle de classe.

«Redressez-vous sur le bout de votre chaise», commande la professeure de chant des Muses. Anthony, Philippe, Michael, Alexia, Jean-François, Édon et Marc s'exécutent. Et après quelques vocalises, entonnent Mes blues passent pu dans porte d'Offenbach. Tous gardent en mémoire leur expérience sur le plateau de tournage du film mettant en vedette leur camarade Gabrielle Marion-Rivard.

Consultante et chef de choeur sur le plateau de Gabrielle, Hélène-Élise Blais est auteure-compositrice et enseigne aux Muses depuis 11 ans.

«Il y avait beaucoup de mes élèves et quelques comédiens professionnels. J'ai fait les répétitions, écrit les arrangements des chansons de Charlebois, puis on a enregistré avec lui en studio. Ç'a été une belle expérience. Sur le plateau, j'étais toujours derrière Vincent-Guillaume Otis, qui joue le rôle de chef de choeur», explique la professeure qui a composé Les chants du désert, trame sonore du film Gabrielle, et coaché le comédien Alexandre Landry pour le chant.

«Il y a encore des gens qui nous demandent si la déficience intellectuelle est de la maladie mentale. Ça n'a aucun rapport! On n'en parle pas assez: il ne s'agit pas d'expliquer ce que c'est, mais de voir vivre ces jeunes, comme dans Gabrielle, et découvrir leur talent et leur être», lance Hélène-Élise Blais.

Pour la plupart des élèves des Muses, Gabrielle n'était pas une première expérience professionnelle puisqu'on a pu les voir dans des séries telles que Unité 9, Le négociateur, Annie et ses hommes, Gang de rue, Tout sur moi et Virginie.

Vivant avec l'autisme, Anthony Dolbec a 28 ans. Son talent a tout de suite été remarqué par Louise Archambault qui lui a confié un solo dans Ordinaire de Charlebois dans son film. Il est aux Muses depuis neuf ans et il a entre autres participé aux spectacles Pharmakon, Just Fake It ainsi que Dans ta tête et Six pieds sur terre (2013) de la compagnie de danse Maï(g)wenn et les orteils, se produisant entre autres au festival Vue sur la relève et dans le cadre de la Biennale de gigue contemporaine.

Quant à Geneviève Morin-Dupont, une jeune actrice vivant avec une trisomie 21, elle incarne au petit écran la fille du directeur de la prison de Lietteville dans Unité 9.

Une école d'art à part entière

Il y a maintenant 16 ans que Cindy Schwartz a mis sur pied le centre Les Muses, qui offre une formation professionnelle en théâtre, danse et chant à des artistes ayant un handicap intellectuel.

Enseignante en danse, elle s'est rapidement aperçue que le talent transcendait toutes les différences.

«J'ai rencontré des enseignants de chant et de théâtre qui avaient le goût, comme moi, d'offrir des cours à ces personnes-là, de manière occasionnelle. Ça a rapidement évolué quand je me suis aperçue du talent que mes élèves handicapés pouvaient avoir», précise la directrice du centre Les Muses, qui a la chance de pouvoir compter sur un partenariat avec le Centre Champagnat de la Commission scolaire de Montréal depuis 2006.

Les enseignants des Muses sont un prêt de la commission scolaire, mais l'école d'art ne reçoit aucune subvention, vivant de ses partenariats.

Le centre accueille au moins 15 élèves pour une période minimum de cinq ans. Tous ont dû passer une audition pour se joindre aux Muses et c'est le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle de Montréal qui réfère depuis plus de 10 ans des personnes vivant avec un handicap qui démontrent des aptitudes artistiques certaines, capables de s'intégrer à temps plein au programme de formation.

«On évalue les élèves sur une période de six mois, quatre jours par semaine. La personne doit avoir un talent dans au moins une des disciplines pour qu'on la garde. Si ce n'est pas le cas, on s'assoit avec la personne et un intervenant pour faire le bilan et expliquer pourquoi elle ne pourra pas passer au niveau professionnel. On ne fait pas de la musicothérapie ou du loisir: on est une école d'art. C'est une formation qui vise à une intégration professionnelle. Je suis fière, mais surtout heureuse que la société reconnaisse que ces personnes ont un handicap, mais avant tout du talent», conclut la directrice de l'établissement.