Le Festival international de musique actuelle de Victoriaville consacre une journée entière au prolifique John Zorn le dimanche 19 mai. Joint chez lui à New York, le musicien américain a accordé une de ses rares entrevues à notre journaliste Alain Brunet.

Une soixantaine d'albums, 25 bandes originales pour films, une dizaine de jeux d'improvisations, autant d'enregistrements à la barre de la formation Naked City et à la direction de Painkiller, une quarantaine avec les déclinaisons du projet Masada, quatre avec Bar Kokhba, six opus avec le trio Moonchild, 20 avec le projet Book of Angels, sans compter de nombreuses participations à d'autres projets...

Aucun compositeur, interprète et leader d'orchestre n'a été aussi prolifique sur le territoire éclaté des musiques contemporaines, écrites ou improvisées que John Zorn.

Pas étonnant que le Festival international de musique actuelle de Victoriaville lui consacre une journée entière, le dimanche 19 mai. Pour l'occasion, le musicien américain, joint chez lui à New York, nous a accordé une de ses très rares entrevues.

«C'est une affaire spéciale entre le festival de Victoriaville et moi, dit-il d'emblée. Michel Levasseur, son directeur artistique, soutient mon travail depuis les débuts de ma carrière. Pour moi, c'est important d'alimenter cette célébration de la musique actuelle à Victo.»

Quand Zorn a pensé à cette tournée pour présenter ses nouveaux projets, il a pensé à ses amis promoteurs et à Michel Levasseur. Mais le Festival de Victo n'avait pas les budgets nécessaires pour que cette série de concerts puisse se concrétiser. «Nous avons songé à une version réduite, mais j'ai dit à Michel que je voulais mordicus présenter le meilleur matériel de mon travail récent. Alors? L'argent importe peu dans cette aventure. Faisons en sorte que ça se produise!»

Communauté stable

Pour John Zorn, que d'aucuns ont pourtant décrit comme un être intransigeant, la qualité des relations humaines est à la base de la productivité. Comme on le sait, les musiciens d'une communauté stable participent aux différents projets de John Zorn - on pense au guitariste Marc Ribot, au chanteur Mike Patton, au claviériste John Medeski, au trompettiste Dave Douglas, au batteur Joey Baron et autres pointures new-yorkaises.

«De nos jours, insiste Zorn, il est très rare de voir un groupe rester uni aussi longtemps. Frank Zappa, par exemple, avait réuni un groupe fantastique jusqu'au début des années 70. Mais après, il s'est mis à dos ses musiciens en ne les traitant pas de manière appropriée. Ils l'ont quitté et sa musique est devenue moins intéressante par la suite.»

Leçon à tirer? «En restant longtemps avec les mêmes musiciens, on peut atteindre plus de profondeur. Je m'inspire en ce sens de leaders comme John Cassavetes, qui a travaillé avec les mêmes artistes et artisans. Cela dit, mon travail représente un défi de tous les instants pour mes musiciens, et je m'inspire de leur jeu pour aller plus loin.

«Ainsi, je peux compter sur des artistes de premier plan à qui je fais confiance et à qui je donne des responsabilités. Un bon leader doit inspirer. Il doit faire ses devoirs et soumettre des propositions inspirantes, rafraîchissantes, qui posent des défis qui comportent des risques.»

Cette communauté de musiciens n'est pas que professionnelle, insiste John Zorn.

«Nous nous fréquentons au-delà du travail. Je m'intéresse à leur profession, à leur famille, à leur vie. Nous nous apprécions mutuellement, c'est ce qui rend les choses si spéciales. Lorsque nous nous présentons sur scène, nous ne sommes pas une bande de professionnels au travail. Ce que vous entendez et voyez sur scène, c'est de l'amour!»

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Prolifique explorateur de l'avant-garde

1973: John Zorn choisit de jouer du saxophone alto à l'écoute d'Anthony Braxton, étudie la composition au Webster College (Missouri) où il intègre à sa musique des éléments de free jazz et autres courants d'avant-garde.

1975: Il s'installe à Manhattan et fait partie de la mouvance avant-gardiste en tant que compositeur, interprète, réalisateur et producteur.

1985: Pour la première fois, Zorn déborde des milieux d'avant-garde: l'album The Big Gundown: John Zorn Plays the Music of Ennio Morricone illustre son intérêt pour les musiques de films.

1986: Il lance Voodoo, un de ses albums de jazz, dans le cadre du Sonny Clark Memorial Quartet - Wayne Horvitz, Ray Drummond, Bobby Previte.

1987: Il enregistre le premier volet de Cobra, série d'albums qui succède à des concepts de jeux improvisés qu'il imagine dès 1976.

1989: Il fonde Naked City, une formation de type avant-rock, réunissant des musiciens renommés, dont Bill Frisell, Fred Frith, Wayne Horvitz, Joey Baron et autres collaborateurs issus de la scène hardcore.

1991: Il crée l'ensemble Painkiller, furieux mélange de free jazz et de grindcore.

1992: Il fonde l'étiquette Tzadik, dont le répertoire est aujourd'hui considérable.

1994: Aux côtés de Dave Douglas, Joey Baron et Greg Cohen, il impose le fameux quartette Masada, dont l'approche s'inspire à la fois de musiques sémites et de jazz contemporain.

2003: Il célèbre son 50e anniversaire au Tonic de New York par un mois entier de performances différentes - Masada String Trio, Bar Kokhba Sextet, Painkiller, etc.

2005: Il ouvre The Stone, lieu de diffusion de la musique actuelle au coeur d'Alphabet City, à Manhattan.

2008: Il réunit The Dreamers avec des membres de sa formation Electric Masada.

2009: Richard Foreman s'inspire de l'album Astronome de l'ensemble Moonchild dirigé par Zorn (2006) et met en oeuvre l'opéra Astronome: A Night at The Opera.