Sous Margaret Thatcher, la musique reflétait le «vide spirituel» de la politique, estime Bobby Gillespie, un des grands noms du rock britannique, déplorant l'«apathie» de la nouvelle génération de musiciens, alors que les idées de la Dame de fer «ne sont pas mortes».

«J'étais très heureux quand j'ai appris la nouvelle. Tous mes amis m'ont envoyé des SMS me disant que c'était génial», sourit le longiligne chanteur, interrogé sur la mort de l'ancienne Premier ministre, alors qu'il est de passage à Paris pour promouvoir le nouvel album de son groupe Primal Scream.

Fils d'un leader syndical, cet Écossais garde en mémoire des souvenirs vivaces de la grande grève des mineurs en 1984, écrasée par Margaret Thatcher.

Après des débuts comme batteur du groupe Jesus and the Mary Chain, Bobby Gillespie venait juste de fonder Primal Scream.

«Mon père envoyait de la nourriture aux grévistes et certains venaient à nos répétitions. Ils nous racontaient comment la police les avaient trahis, comment ils avaient été arrêtés et salement battus dans les cellules», se souvient le rocker de 51 ans.

«À l'époque, j'étais un punk adolescent et j'écoutais Metal Box de PIL - le groupe fondé par Johnny Rotten après la séparation des Sex Pistols. C'était une musique déprimante, aliénée, comme un vide spirituel au diapason de ce qui se passait: la destruction de communautés, de villes entières», dit-il à l'AFP.

En trente ans de carrière, Primal Scream et Bobby Gillespie sont à leur tour devenus de grandes figures du rock britannique, mêlant hédonisme, excès en tous genres et messages politiques volontiers provocateurs.

Ils ont fait chanter Kate Moss, ont signé aussi bien des classiques du blues version Rolling Stones (Rocks) que de violentes charges anarchistes (XTRMNTR), ont été des précurseurs du mariage de la pop et de la house avec Screamadelica (1991), considéré par la critique comme un des meilleurs albums de la décennie.

«Les artistes se sont tus»

More Light, le très réussi dixième album du groupe à paraître le 13 mai, est une foisonnante expérimentation musicale et un sombre portrait de la société britannique, minée par la crise et la violence.

Le nom d'une personnalité politique revient au fil des chansons: celui de Margaret Thatcher.

«En réalité, Thatcher n'est pas morte, elle est juste partie. Car toutes les politiques qu'elle a mis en oeuvre, les privatisations, les attaques contre l'État-providence, la santé, le système éducatif, sa guerre contre la classe ouvrière, se sont poursuivies sous les gouvernements Major, Blair, Brown jusqu'à aujourd'hui», estime Bobby Gillespie.

«Le gouvernement de coalition met en place des choses dont elle n'aurait pu que rêver, car à son époque la classe ouvrière et les syndicats étaient importants et puissants», ajoute-t-il.

Mais si les politiques n'ont pas changé, les artistes se sont tus, juge-t-il, estimant que «la désindustrialisation a conduit à la dépolitisation».

Au début des années 80, «des groupes comme Cabaret Voltaire, Joy Division faisaient une musique qui ressemblait à la Grande-Bretagne, violente et paranoïaque et pour moi, c'est vraiment ça l'art».

«Ils étaient importants parce qu'ils remettaient en l'autorité question, incitaient à penser par soi-même et introduisaient le situationnisme, le marxisme, le dadaïsme, Burrough et Rimbaud auprès des jeunes. Moi, adolescent venant de la classe ouvrière, j'ai découvert toutes ces choses grâce au rock», ajoute-t-il.

Dans 2013, le premier extrait de More Light, il dénonce a contrario l'apathie des «enfants de Thatcher» qui forment la nouvelle génération de musiciens.

«Nous vivons une période très violente, extrême, mais la musique que j'entends ne le reflète pas. Les jeunes artistes sont tellement conservateurs, insipides. Personne ne dit rien qui soit polémique, ils veulent seulement faire partie de la société du spectacle», estime-t-il.