25 ans, avec 12 numéros un dans les palmarès, 100 millions de ventes numériques et 3,2 milliards de clics sur YouTube, Robyn Deborah Rihanna Fenty est un phénomène. C'est aussi la chanteuse pop la plus énigmatique du lot, une poupée paradoxale que personne n'arrive à saisir et dont le flou artistique donne lieu à mille et une interprétations. Cela va de fille la plus sexy du monde à femme battue, de pute poseuse à réincarnation pop de Lady Diana, de rebelle à agace-pissette, de bonne fille à sa maman à bad girl qui abuse de substances et fait trop la fête.

Comment s'y retrouver dans cette mer de contradictions quand, d'un battement de cils, Rihanna peut publier une citation de la Bible sur son compte Twitter avant de balancer une photo d'elle à moitié nue sur Instagram? La suivre donne le vertige.

Pourtant, à la fin de l'été dernier, à quelques mois du lancement de l'album Unapolegetic et de la tournée Diamonds, qui s'arrête au Centre Bell demain, Rihanna a accordé une longue entrevue à Oprah, chez elle à la Barbade. On y découvre, sous les cheveux longs et sages, une ravissante jeune femme en robe soleil, à mille lieues de la pin up provocante des clips, qui se raconte avec une étonnante candeur. Elle évoque la genèse de sa réconciliation avec Chris Brown - celui qui, en 2009, à la veille des Grammy's, l'a rouée de coups et envoyée aux urgences. «Comment as-tu pu te réconcilier avec lui, après tout ce qu'il t'a fait?», a demandé Oprah avec une pointe de compassion, se faisant porte-parole de tous ceux qui sont convaincus que Rihanna souffre du syndrome de la femme battue.

«En faisant d'abord la paix avec mon père, un homme violent qui battait ma mère», a simplement répondu Rihanna en essuyant une larme. Subitement, on comprend mieux d'où vient cette belle fille, obligée de réparer les blessures de l'enfance sur la place publique et de trouver qui elle est dans le tumulte et la clameur médiatiques. Pour une jeune femme de 25 ans, c'est tout un contrat. Une autre y aurait laissé sa peau, mais Rihanna est peut-être plus forte que l'on pense. Plus forte, mais toujours aussi paradoxale.

FILLE DES ÎLES

Née le 20 février 1988 à la Barbade, Rihanna a grandi dans une île infusée de soleil et de sensualité, loin des corsets judéo-chrétiens qu'ont connus Madonna ou Lady Gaga et dans une culture caraïbéenne où le rapport au corps est beaucoup plus libre. La famille vivait dans un modeste bungalow de Bridgetown, dans une rue où tout le monde se connaissait et où la proximité de la mer et de la plage compensait le manque d'argent. Cette enfance sous le soleil et en maillot de bain sur la plage n'a pourtant pas toujours été idyllique. Le père de Rihanna, un vendeur de vêtements itinérant, était accro au crack. Les querelles à la maison avec Monica, la mère de Rihanna, étaient nombreuses et violentes. Au plus creux de sa dépendance, Ronald Fenty sillonnait les rues défoncées de Bridgetown à la recherche de sa dose. Rihanna avait 14 ans lorsque ses parents ont divorcé. L'année suivante, la jeune fille, qui chantait depuis l'âge de 3 ans en prenant sa brosse à cheveux pour un micro, a remporté un concours à son école secondaire. Le concours l'a menée chez un producteur américain en vacances à la Barbade. Evans Rogers a immédiatement vu le potentiel de la jeune et jolie Barbadienne. Il l'a fait venir à New York avec sa mère pour enregistrer une maquette de 12 titres, puis il lui a présenté le producteur et rappeur-vedette Jay-Z - qui lui a écrit entre autres son premier grand tube, Umbrella, en 2007. Le reste appartient à l'Histoire.

MACHINE À TUBES

Tous ne s'entendent pas sur les qualités vocales de Rihanna. Certains adorent les accents rhythm & blues de sa voix et la chaleur soul qui s'en dégage. D'autres lui reprochent un filet de voix fragile sujet aux laryngites, comme celle qui l'a forcée à annuler ses concerts cette semaine à Boston et à Baltimore. Tous s'entendent par contre sur une chose: son goût sûr en matière de pop et son flair indéniable pour les tubes. Que l'on suive ou non la carrière de Rihanna, on a tous entendu (et fredonné) Umbrella, Don't Stop The Music, S&M, We Found Love, LoveThe Way You Lie (avec Eminem) ou, dernièrement, la ballade pop très accrocheuse de Diamonds. Rihanna n'est pas une auteure aussi active que P! nk, Lady Gaga ou même Madonna. Elle a écrit quelques chansons, mais toujours avec l'aide d'amis scribes. Son vrai talent, c'est d'aller à la pêche chez ses collaborateurs et de repérer, parmi les chansons qu'ils lui proposent, la perle rare, le tube assuré. Avec 12 numéros un en six ans (un record battu seulement par Madonna et Mariah Carey), Rihanna a fait amplement la preuve qu'elle est une machine à tubes, mais aussi une machine à lancer des albums - ce qu'elle a fait sans coup férir, année après année et sans pause, depuis sept ans.

OBJET SEXUEL

Rihanna n'a jamais publié de livre de table à café, comme le sulfureux Sex de Madonna. Mais les photos de ses seins, de ses fesses et son sublime corps nu abondent sur le Net. Parfois, il s'agit de séances de photos pour des magazines comme GQ ou Rolling Stone. Parfois, c'est Rihanna ou ses amis qui prennent des photos osées et les offrent à la planète grâce à Instagram. La nudité et la sexualité font partie de la marque de commerce de Rihanna, mais la question demeure: la belle est-elle un objet sexuel exploité par une industrie macho qui la pousse à se dénuder pour des raisons strictement marchandes ou est-elle plutôt le sujet de sa propre exploitation? Faisant référence à une photo de Rihanna nue devant un feu de foyer, l'essayiste féministe Camille Paglia célèbre l'érotisme authentiquement artistique de Rihanna. Elle clame que, telle une princesse Diana de l'ère numérique, la chanteuse s'est elle-même conçue comme une sculpture vivante pour l'objectif de la caméra. Pour Paglia, Rihanna est le metteur en scène de sa sexualité. Les féministes qui détestent Paglia prétendent le contraire. Chose certaine, Rihanna n'éprouve aucun complexe à montrer son corps nu. Et si ses poses lascives semblent faites sur mesure pour séduire le regard des hommes, peut-être faut-il chercher leur source dans l'île nue où elle est née plutôt qu'uniquement au sein de l'industrie qui les exploite?

BAD GIRL

En 2007, à peine deux ans après avoir été prise sous l'aile du producteur JayZ, Rihanna sort un troisième album qui tranche avec les deux premiers. Il a pour titre Good Girl Gone Bad et donne naissance à un nouveau personnage, le double négatif de la fille festive des Îles: la bad girl. Sexe, drogue, dance, pop et R&B deviennent les nouveaux credo de la chanteuse de 19 ans, qui en profite pour s'éclater dans sa vie publique et privée. Tenues provocantes en cuir et en latex, clips trash et fétichistes où la drogue est omniprésente, Rihanna explore à fond le côté plus trouble des choses, fait un doigt d'honneur à la rectitude politique et refuse de se comporter comme un modèle pour les jeunes filles.

Six ans plus tard, Rihanna cohabite toujours avec sa bad girl, fait encore beaucoup la fête, ne cache pas sa consommation de cannabis, de cigares ou de cigarettes et a décidé de se remettre en ménage avec Chris Brown - au grand dam de l'opinion publique, qu'elle a joyeusement envoyée promener avec une chanson, Nobody's Business.

C'est sans doute un peu pour ces raisons que c'est Béyoncé, et non Rihanna, qui a été invitée à chanter pour les 50 ans de Michelle Obama, en janvier 2014. Mais la bad girl s'en fout. Comment la blâmer? Après tout, elle est belle, elle est jeune, elle est riche à craquer. Elle vit dans des palaces, elle a sa marque de parfum et de vêtements. Sur scène, elle se balade en Manolos et en Givenchy. C'est vrai que Rihanna n'a jamais chanté pour un président. En revanche, et contrairement à Beyoncé, elle n'a jamais chanté pour un dictateur non plus. Un jour, la fête sera finie. En attendant, Rihanna en profite à fond.